mercredi 26 juin 2013

Fernando Pessoa : Canto à Leopardi. Traduction D Aranjo

Fernando Pessoa par Julio Pomar

Fernando PESSOA


CANTO À LEOPARDI

" Ah, mais de sa voix sans âme pleure
Le cœur affligé et répond :
"Si est fausse l'idée, qui m'a donné l'idée ?
S'il n'y a ni bonté ni justice
Pourquoi est-ce que s'angoisse le cœur dans la lice
En défendant ses inutiles mythes ?

S'il est faux de croire en un dieu ou en un destin
Qui sache ce qu'est le cœur humain,
Pourquoi y a-t-il le cœur humain et le sens
Qu'il a du bien et du mal ? Ah, s'il est insensé
De vouloir justice, pourquoi dans la justice
Vouloir le bien, pour quoi le bien vouloir,
Quelle méchanceté, quelle (…), quelle justice
Nous fit pour croire, si nous ne devons pas croire ?

Si le douteux et incertain univers,
Si la vie transitoire
Trouvent ailleurs leur intime et profonde
Signification, et le tableau ultime de l'histoire,
Pourquoi y a-t-il un univers transitoire et incertain
Où je vais par incertitude et transition,
Aujourd'hui un mal, une douleur, et, ouvert
Un seul cœur endolori ?"

Ainsi, dans la nuit abstraite de la Raison,
Inutilement, majestueusement,
Dialogue avec soi le cœur,
Parle haut à soi-même la pensée,
Et il n'y a pas de paix ni de conclusion,
Tout est comme s'il était inexistant."

1934
peu avant sa mort

Fernando Pessoa
tr. D. Aranjo



8 commentaires:

giulio a dit…

Merci, cher Aranjo, pour la traduction de ce beau poème. Oserais-je pourtant vous faire remarquer une petite coquille ?

En effet, selon l'Arquivo Pessoa (www.arquivopessoa.net/textos/2772) l'avant-dernier vers de la 2e strophe mentionne


Que maldade, que [...], que injustiça


et non justiça

ARANJO Daniel a dit…

"injustiça" serait plus cohérent en effet
je vais voir ce que j'ai sur ma version portugaise à moi, que je n'ai pas sous la main (les manuscrits de Pessoa sont parfois difficiles à déchiffrer, et celui-ci est inachevé avec un mot qui manque dans ce vers : forme typographique et fortuite, symbolique - ? -, du néant). Ce trou typographique m'a toujours inspiré ! Je m'en suis souvenu dans un de mes poèmes, que je vais essayer de retrouver.

D. Aranjo

ARANJO Daniel a dit…

voici le poème où je me suis souvenu de ce trou typographique de Pessoa (c'est un poème, peut-être mélodieux, sur le néant) :


"5.

Une poussière, là ; avec une porte droite ;
et toi ?

que l'ombre d'un chien ne mord plus même au poignet…

6.

Quel nom de jonquille en juillet redisant
son mince pinceau neigeux…

7.

Quel roc, quel ciel, paille ou lilas
ou pianoforte, quel (…)

alors que nous sommes morts,
et le savions déjà ?

8.

Comme reste d’un fleuve l’écume, et l’ombre d’une écume sèche"

giulio a dit…

Ne serait-il pas très prosaïquement possible que l'un ou l'autre mot de ces poèmes, peut-être posthumes, n'aient pu être déchiffrés par leur lecteur/éditeur ?


Il n'y a pas que les dessins de la providence qui soient indéchiffrables.

D ARANJO a dit…

je vais consulter Patrick Quillier éditeur et traducteur de Pessoa en Pléiade sur le manuscrit ; "justiça" serait fort, aussi, et ironique : une ironie plus léopardienne que pessoenne

D Aranjo

D ARANJO a dit…

Comme je m'en doutais : dans mon édition portugaise, il y a "justiça" (c'est une éd. chronologique connue, en 3 tomes, des poésies de Pessoa signées Fernando Pessoa, par Antiono Quadras, Europa-América éd.).
En cherchant notre poème, je suis tombé sur des formules peu connues et fortes : "Me fait mal qui je suis", ou : "Nausée. Volonté de rien. Exister parce qu'on ne meurt pas."
Il faudrait voir le manuscrit, même, et voir si on peut décider quelque chose.

D ARANJO

ARANJO Daniel a dit…

Comme je m'en doutais : dans mon édition portugaise, il y a "justiça" (c'est une éd. chronologique connue, en 3 tomes, des poésies de Pessoa signées Fernando Pessoa, par Antiono Quadros, Europa-América éd.).
En cherchant notre poème, je suis tombé sur des formules peu connues et fortes : "Me fait mal qui je suis", ou : "Nausée. Volonté de rien. / Exister parce qu'on ne meurt pas."
Il faudrait voir le manuscrit, même, et voir si on peut décider quelque chose.

ARANJO Daniel a dit…

"Me fait mal qui je suis." 'Qui' : on ne peut décider, ni en portugais ni dans ma traduction littérale, si c'est un relatif ("Celui que je suis") ou un interrogatif : "Qui je suis ? (cette question) me fait mal."

D. Aranjo