Il devait avoir soixante-dix ans. Allez savoir pourquoi il m'a choisi pour me demander : "Pouvez-vous me dire s'il vous plaît dans quel recueil on peut lire le poème de Victor Hugo sur la retraite de Russie ? Il y a dans ce poème un imparfait splendide". Il devait avoir appris ce poème des Châtiments à l'école. Désormais, je lirai ce poème tout autrement. J'y verrai la splendeur de cet imparfait. Ainsi donc, la retraite de Russie sera pour moi synonyme d'imparfait réussi en plus des souvenirs de Guerre et Paix où Tolstoï évoque cet épisode historique.
L'expiation.
Il neigeait. On était vaincu par sa conquête.
Pour la
première fois l'aigle baissait la tête.
Sombres jours ! l'empereur revenait
lentement,
Laissant derrière lui brûler Moscou fumant.
Il neigeait. L'âpre
hiver fondait en avalanche.
Après la plaine blanche une autre plaine
blanche.
On ne connaissait plus les chefs ni le drapeau.
Hier la grande
armée, et maintenant troupeau.
On ne distinguait plus les ailes ni le
centre.
Il neigeait. Les blessés s'abritaient dans le ventre
Des chevaux
morts ; au seuil des bivouacs désolés
On voyait des clairons à leur poste
gelés,
Restés debout, en selle et muets, blancs de givre,
Collant leur
bouche en pierre aux trompettes de cuivre.
Boulets, mitraille, obus, mêlés
aux flocons blancs,
Pleuvaient ; les grenadiers, surpris d'être
tremblants,
Marchaient pensifs, la glace à leur moustache grise.
Il
neigeait, il neigeait toujours ! La froide bise
Sifflait ; sur le verglas,
dans des lieux inconnus,
On n'avait pas de pain et l'on allait pieds nus.
8 commentaires:
Je ne sais pas si c'est un hasard ou pas, mais je note qu'il y a deux cents ans aujourd’hui : le 22 juin 1812, Napoléon Ier se lançait dans la bataille de Russie ! On célèbre aujourd'hui même, aussi bien en Russie qu’en France, le bicentenaire de cette campagne mythique… Curieusement, pour une fois c'est la nation vaincue, en l'occurrence la France, qui a écrit en grande partie, l'histoire de la retraite terrifiante de la grande armée. Victor Hugo par ce magnifique poème, appris par cœur par toutes les générations francophones, lègue à la postérité un fragment de cette défaite.
Un nombre vertigineux d'ouvrages (depuis Balzac jusqu'à Marie-Pierre Rey et récemment Jacques-Olivier Boudon) raconte la retraite de Russie. Côté russe, c'est évidemment Tolstoi qui a immortalisé la bataille.
Les menées napoléoniennes ont laissé leur trace dans la littérature arabe aussi. Je pense à l'inégalable chronique que nous a laissé Jabarti de la campagne d'Egypte mais aussi à ce superbe roman de Sonallah Ibrahim.
Coté Russe, c'est vrai, il y a surtout "Guerre et Paix" que j'ai relu 3 fois. Mais ce qui est étrange, Halagu, c'est que je n'ai rien trouvé chez l'immense Pouchkine, chez qui, ce qui s'en approche le plus, mais de loin, c'est "La Tempête de neige", histoire d'amour qui s'y réfère, mais qui se déroule fin 1814, lorsque les carottes sont cuites.
Il neigeait ! J’ai mis exprès l’exclamation pour signifier ce que notre ami Jalel a vu de splendide dans cet imparfait, pourvu que c’est de cet imparfait là qu’il parle.
Et je reviens à la neige en même temps splendide et redoutable et je pense à "Maître et serviteur" ( initialement appelé : "La Tourmente de neige")de Tolstoï où le maitre Vassili Andréitch se couche sur Nikita, son serviteur, pour le réchauffer et lui sauver la vie aux dépens de la sienne. Cette scène que j’ai toujours trouvé terrible en générosité me rend la neige de cette nouvelle aussi splendide et son imparfait autant réussi que celui que perçoit Jalel dans la retraite de Russie.
Merci de nous convier continuellement à l’école des valeurs.
Merci cher Djawhar, pour cette découverte, que je n'eus pas faite sans toi. Cette splendide nouvelle publiée ultérieurement sous le titre Maître et serviteur (trad. Ely Halpérine-Kaminsky, 1895), peut être chargée à partir du site de la Bibliothèque russe et slave > Léon Tolstoi.
Voir aussi "Maître et serviteur" sur Wikipedia
Tu as a raison, les écrivains russes, les créateurs russes d'une manière générale, ne se sont beaucoup intéressés à cette période de leur histoire. Et pourtant cette guerre a joué un rôle primordial dans la construction de l'identité nationale de la Russie. Les russes l'ont nommée la « guerre patriotique » (la guerre contre les nazis étant la « grande guerre patriotique »). Voici une ébauche d'une explication personnelle.
A l'époque -et jusqu'à la fin du régime tsariste- l’intelligentsia russe ainsi que la haute société et la noblesse pétersbourgeoises, étaient francophones et surtout francophiles ; ils n'étaient pas dans un discours triomphaliste après la défaite de l'armée française. Ils acceptaient les événements de la guerre comme une fatalité -« ils se sont accomplis parce qu'ils devaient s'accomplir » disait Tolstoï-, et considéraient la guerre comme une absurdité nécessaire, même si les conséquences étaient épouvantables pour les soldats russes et français... Les parents de Pouchkine faisaient partie de la noblesse russe et étaient, justement, profondément francophiles. Pouchkine était noble (Tolstoï ne l'était pas), parfaitement bilingue, féru de littérature française, à tel point que ses amis l'appelaient admirativement ''le français''. A mon avis, dans l'esprit de l'époque, il était inconcevable pour un intellectuel bourgeois ou noble d'évoquer la guerre franco-russe sans avoir l'impression de trahir son amour pour la langue française et pour la France des Lumières. Autre détail, Napoléon n'a jamais été tenté d'attaquer Saint-Pétersbourg, capitale de cette noblesse francophile, il rentrera dans un Moscou en feu où il ne restait que les malades, les soldats blessés et les pauvres (d'ailleurs, ce sont les demeures de ces derniers, demeures en bois, qui ont flambés en priorité). La Russie impériale se servira de cette guerre uniquement comme un levier pour créer la fameuse ''union sacrée'' et conservera une admiration discrète, mais réelle, pour Napoléon et sa patrie.
Le poète polonais Mickiewicz, issu de la noblesse et élevé dans un esprit francophile et d'ouverture à l'esprit des Lumières (il a séjouné et enseigné à Saint Pétersbourg), a repris dans ses œuvres l'année 1812. Il vouait à Napoléon une admiration mystique et soulignait que la compagne de Russie est une ''épopée , une mission confiée par Dieu à un élu de Dieu pour mobiliser les peuples d'Europe et les libérer de la terreur et l'injustice''. A chacun son bouffon !
Quant à V. Hugo, si j'admire sa poésie, je reste circonspect à l'égard de l'homme et ses idées. Ambivalent, il l'a toujours été dans sa vie comme dans son admiration pour Napoléon. Mais là, c'est un autre problème !
J'ai oublié de mentionner que mon commentaire est une réponse qui fait suite à celui de mon Ami Giulio.
D'autre part le ''ils'' de la 6è ligne désigne les russes de Saint-Pétersbourg.
@Giulio
C'est moi qui vous remercie infiniment, cher Giulio. Ce que j'apprends constamment de vous sur ce blog n'a pas de prix.
Amitiés
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