mercredi 22 juin 2011

A Rimbaud. Mokhtar El Amraoui

A Rimbaud

Arthur,
Blanc Abyssinien,
Tes voyelles étouffant de lumière,
Embrasent ma solitude
Et éclairent ma tristesse
Qui râle sous le poids muet des mots inutiles.
Tu m’offris la couleur
Et rendis aux étoiles leur sève juvénile.
Inchoative ivresse
Créant l’univers
De mystères,
De questions nues.
Tu me reviens, ramage de baobab,
En transes de cithare,
Sur les flots scintillants de l’Oued Joumine !
Arthur,
Jeune âme
Mordant les éclairs de l’impossible !
Mokhtar El Amraoui : Arpèges sur les ailes de mes ans

dimanche 19 juin 2011

Ode en rouge et blanc. Par Mahdia Ben Guesmia


Notre amie Mahdia Ben Guesmia a publié cette lecture de mon poème "Ode en rouge et blanc". Qu'elle en soit vivement remerciée.

Ode en rouge et blanc - Jalel El Gharbi





Des dessous de mots en pétales de roses pour venir dou-ce-ment dormir ou mourir dans l’aimée

Le mot habille t-il le mot ? Ya t-il en poésie une tenue de soirée, une autre de tous les jours et une troisième pour se faire élégant, le soir venu, avant de venir dormir dans l’amour ou dans la mort ? Oui, car à lire Jalel El Gharbi dans son dernier poème « Ode en rouge et blanc »(1), on vient à reconsidérer la force infinie mais tranquille qui dort élégamment, j’allais dire pieusement, dans des mots qui signifient a priori la fragilité, la vulnérabilité ou l’épuisabilité , et qui font burlesquement rougir la vie devant cet attrait pour la mort quand dans l’amour elle sera dignement douce, dira aimablement notre poète.

Ce poème, dont je ne peux qu’admirer une beauté à la limite du rêve élégant que des mots prudes viennent murmurer, malmène pourtant ma vision du beau !
Qu’est-ce qui dans ce bout de texte de treize vers, peints en rouge et blanc, se cache dans ce murmure et plus loin encore que le murmure à mon regard étonné ? Voilà ce que je vais, par appétence de l’excès du beau, essayer de creuser car, comme le poète lui-même ne le cache pas à l’intelligence de son lecteur, « Un voyage commence toujours /A l’ instant où l’on voit des ruines »(2), d’autant plus que chez cet amoureux de la suggestion la plus folle, quand ça tombe, ça vole, pour retomber et reconstruire : « Dans le blé converti aux coquelicots /Un étrange frelon prit son envol. » « Et l’oiseau dans son envol /…Refaisait le toit et la fontaine »
« Voici qui est rouge, qui est bleu, qui est vert. Ceci est la mer, la montagne, les fleurs. » (3) écrit Albert Camus en peignant avec frénésie une terre née à l’aube des temps, l’Algérie, sa patrie de naissance. Et voici qui est « rouge et blanc » dit Jalel El Gharbi, mais pour peindre quoi ?

Je ne veux pas leurrer mon raisonnement et répéter que « ode en rouge et blanc » reproduit l’anecdote éluardienne « j’écris ton nom », même si le rouge et le blanc sont les deux couleurs nationales de notre poète – et on ne peut douter ici de l’amour qu’a le poète pour sa patrie -, car on ne peut associer ici ce qui meurt à ce dont on meurt, ou ce qu’on sacrifie à ce pourquoi on se sacrifie puisque les deux couleurs sont d’abord liées ici avec toute une traîne d’images à des objets qui s’affaissent, qui finissent et qui, plus, le font plus vite que tous les objets qui tombent . A moins que le poète de « Trouver le pain dans une miette », dans une imagerie prodigieuse, aurait voulu marier ses sens antithétiques comme il le fait dans ces couleurs « Je marie le tout avec mon désir et une coupole/ Dont le vert, le noir et le blanc donnent le rouge » et dissoudre le mortel dans l’absolu, et faire de ce qui finit, ce qui ne finit jamais , lui le soufi des élans les plus courageux dans l’amour du mot et ce qui va au-delà du mot, « Dis-moi le Grammairien … / Lequel prête son nom à l’autre /L’amour ou l’absolu …/ Ai-je le droit de trouver l’absolu / Dans le vermeil d’une fraise » , et dont l’anecdote intégraliste et symbiosiste « T’aimer est m’unir à moi » en est une preuve des plus tangibles.Qu’est-ce qui dans ce bout de texte de treize vers, peints en rouge et blanc, se cache dans ce murmure et plus loin encore que le murmure à mon regard étonné ? Voilà ce que je vais, par appétence de l’excès du beau, essayer de creuser car, comme le poète lui-même ne le cache pas à l’intelligence de son lecteur, « Un voyage commence toujours /A l’ instant où l’on voit des ruines »(2), d’autant plus que chez cet amoureux de la suggestion la plus folle, quand ça tombe, ça vole, pour retomber et reconstruire : « Dans le blé converti aux coquelicots /Un étrange frelon prit son envol. » « Et l’oiseau dans son envol /…Refaisait le toit et la fontaine »

Et pourtant je reste encore sur mes gardes dans la poésie d’El Gharbi car, si ROUGE et BLANC dans leur signification première pourraient signifier ses couleurs nationales, le rouge du coquelicot et le blanc de la marguerite auraient de toutes les façons camouflé un deuxième et un troisième et plus de sens. La fleur, plus précisément dans la mythologie gharbie, est liée à l’amour de la femme. N’écrit-il pas sans aucun ombrage dans son recueil prière du vieux maitre soufi le lendemain de la fête : « Avant d’entrer dans l’amour /Ce soir de feuilles, de fleurs et de fruits … J’étais léger. » et « Avant de naître je me disais /Que l’amour habille l’autre de fleurs / De baisers et de métaphores » ?

Ceci me donne presque la permission de me soustraire à toutes mes appréhensions et d’aller vérifier si ces fleurs qui tombent, ne tombent pas exprès, ou si le poète n’est pas en train de me dire : je tombe les fleurs comme je sème les fleurs ! J’emploie vérifier ici avec plus ou moins d’assurance car la suggestion que j’ai mise dans « semer » pour « tomber », le poète l’a rendue vérifiable à travers son premier vers déjà lorsqu’il s’est hasardé consciemment à employer l’adjectif, combien lourd de beauté, « douce » !

« Et ma mort sera douce », dit douce -ment, le premier vers avec toute l’attractivité de la saveur du doux qui parce que doux, chuchote, murmure, touche légèrement ou avec force doucement !

Peut-on aller dou-ce-ment comme on va dou-lou-reusement dans la mort ? Car combien douceur et douleur sont presque ici équivalentes en syntaxe ? Ou peut-on supposer adapter les mots les plus inadaptables les uns aux autres, les autres aux uns ? Comment le langage peut –il nous convaincre d’adapter la douceur à la douleur, la rose à la finitude, la beauté à la laideur des temps ?

Le deuxième vers, « Je tomberai comme un pétale de coquelicot », vient donc m’en persuader, en faisant doucement glisser ce sens à travers un verbe combien alors bruyant, « tomber », et confirmer encore une fois le pouvoir étonnant qu’a le mot poétique à détourner la force des mots forts en sa faveur, qu’il soit lui-même tout petit ou tout faible ou tout doux , mais surtout de la primauté du mot du début à mener la cadence des vers jusqu’à la fermeture du poème.

Et comment ne pas tendre ici aussi l’oreille au tintement délicieux que crée le poète dans des verbes qui tonnent ? car tomber ici n’est pas tomber ailleurs mais dans cet espace combien intangible, insaisissable et jusqu’à la discrétion douloureuse du verbe qui marche sur la pointe des pieds, pour ne pas offenser ou heurter la pudeur de ce qui se cache pour mourir ; et « tomber » « comme un pétale de coquelicot » vient dorloter la chute ou angéliser le départ et faire des deux autres verbes du mourir « éteindre » et « fermer » (Je m’éteindrai sans peine(v.4) , Je fermerai les yeux facilement (v.8) Je m’éteindrai chaudement (v.10) des synonymes au premier degré d’ « adoucir » et d’« apaiser ».

Mais ces verbes, j’allais dire ces bruissements que l’adjectif »douce » du premier vers vient renforcer (j’ai presque envie de confondre ici « endurcir » et « adoucir »), ne sont –ils pas déjà, depuis les adverbes qui les désignent « sans peine », « facilement » et « chaudement », des verbes « féminins » ? Non seulement parce qu’ils désignent la mort mais parce qu’ils représentent ce qui féminise la mort au-delà du genre déjà établi, c’est à dire ce qui la rend belle, attrayante et jusqu’à désirable pour la facilité qu’elle lance comme une corde au poète pour monter jusqu’à elle et pour la chaleur qu’elle lui prépare et l’en dissuade pour aller s’éteindre en elle.

Mais voyons ! Est- il possible de se chauffer en s’éteignant ? Ici, les sens se percutent comme des passants dans les rues encombrées d’une mégacité vieille de renom car, autrement, comment sortir du sens du doux quand de l’adjectif qui l’annonce, aux adverbes qui le nuance, aux verbes qui le ré -agence, j’atterris encore avec douceur, toujours dans un petit ( j’aurais dit doux si la redondance ne m’obligerait –elle pas à fauter, même par beauté !) poème de treize marches , dans les mots et les choses mais d’un autre Foucault !

Les mots et les choses de Jalel El Gharbi comme coquelicot parce que rouge, marguerite parce que blanche, cerise et melon parce que mi- rouges et mi-blancs (« une cerise qui roule sur la blancheur du melon ») et oreiller et drap parce que tant ou ton rouge sur ton et tant blanc (« un oreiller rouge sur un drap blanc ») sont des choses qui inventent les mots et des mots qui s’inventent des mots. Les mots telles les choses d’El Gharbi sont des couleurs, des tissus, des fleurs et des fruits, auxquels il rajoute des intentions.

Tout dans ce poème si « éclatant », dans tous les sens qui s’opposent ou s’homonymisent dans cet adjectif, « tombe », tout s’éteint et tout ferme pour se lever et dire étrangement plutôt que la mort, l’amour. Et du coup, je réalise combien, lorsqu’on est de sages lecteurs, on viendrait à être enjôlés (le pire c’est de le rester) par la suave tranquillité du doux initial qui pourtant est faux ici car aucune mort n’est réellement douce ! Aucune mort n’est douce qu’en mots, et les mots qui désignent cette douce mort –ci sont plutôt destinés à aimer qu’à mourir, d’autant plus que tout le poème est monté sur un futur, donc une éventualité du fait de finir avec douceur au moins. Mais ce qui persiste ici à travers cette éventuelle image heureuse du mourir, c’est un présent continuel d’un amour intense et indéterminé que le poète du mot distillé coule dans l’adverbe « tant ». Là, je me rends compte que le thème du poème n’est pas la mort mais l’amour, et tout le poème, paraît-il, est plutôt de la fin car, si « ma mort sera douce », c’est parce que « tant je t’aime » dit le final en duo du poème ! De là le poème reprend en spirale la montée, et du dernier vers au premier le sens se remplit d’une nouvelle essence florescente du doux qui maintenant va servir de pont à cet aller-retour dans l’aimée !
Essoufflée ? Pas encore, ou du moins je n’ai pas le droit de l’être tant que le fil que j’ai en main me conduit encore bienveillamment dans les dédales du labyrinthe gharbi, et tant que le Minotaure de notre poète est lui-même hypnotisé par ce langage amène qui adoucit même la mort !

En m’accrochant à cette grappe de mots qui s’éveillent à l’amour à travers pourtant un chant combien douloureux, même si exemplairement doux, mais parce que exemplairement doux, je remonte la pente du sens et j’ouvre, pour venir à l’idée que j’ai délicatement déposée dans le titre, la porte de ce chant où la couleur habile le mot, et celui-ci, par saveur exagérée, dévoile ses formes en une ravissante tenue de nuit.

Je suis ici dans un poème comme dans une maison ou plutôt dans un jardin en -chanté où les fleurs en rouge et blanc viennent habiller le poète d’amour, j’ai même envie de lui rajouter propre pour le rouge de l’amour et le blanc qui l’innocente ! Mais, n’est –il pas si propre cet amour ! Oui ! et propre dans tous ses sens possibles et débordants : propre pour la noblesse du poète qui tombe « comme un pétale de coquelicot que personne n’a cueilli. » ou « Comme les pétales des marguerites », et qui discrètement souffre en répétant « « elle ne m’aime pas » Ou « un peu », sans pour autant s’abaisser ou crier son amour sur les toits. Et combien cet amour « propre » épouse puissamment le sens de la noblesse lorsqu’il est rejoint par les deux couleurs du rouge et du blanc, couleurs essentielles qui font naître les couleurs, dit le poète, car : le rouge est du « quirmiz et des tons qu’il a enfantés /Celui des cerises que chantent les poètes/De la coccinelle dans le silence de son envol/…/De l’homme épris d’autres lendemains » , mais surtout couleurs de la parfaite outrance quand dans son versant idéal, le « Le blanc est synonyme de meilleur /Le rouge dit plus belle », et sur le chemin du désir, le rouge est celui « De l’horizon et des joues de mon amour »et le blanc rejoint « la blancheur des nuits amoureuses ».

Et les fruits et les soieries apportent leur autre histoire : « Je fermerai les yeux facilement / Comme une cerise qui roule sur la blancheur du melon /Je m’éteindrai chaudement /Comme un oreiller rouge sur un drap blanc », disent les vers de huit à onze.

Je monte à présent d’un étage le secret du doux et je songe au coquelicot et ses pétales satinés jusqu’au rouge défendu et à la marguerite et ses pétales légers jusqu’au blanc immaculé car de pétale à pétale le poète meurt sous différentes conceptions du doux, et je compare avec le lisse de la cerise et le moelleux du melon. Mais je m’aperçois que tout le doux dissimulé à l’œil apprêté n’est pas dans la cerise ou le melon, c’est-à-dire dans leurs attributs liés aux sens physiologiques, mais dans le verbe et l’adverbe qui désignent cette douceur du mourir reconverti en amour. C’est « fermer facilement les yeux » qui est représenté ici par la douceur, mais cette relation est d’une complication combien alors fascinante que je ne peux m’en détacher sans l’avoir conclue ; et là j’aurais besoin, me semble –t-il, de quelques notions képlériennes au moins pour parvenir à démêler ce nœud de mots. Car le poète emploie moins ici la cerise et le melon pour la couleur, le satiné - et non le lisse qui servira en fait de solution à ce problème- ou la succulence, c’est à dire moins pour le regard ou le toucher, ou le goûter que pour un sens qui les cumule et les dépasse, un extra sens en fait ou un super sens qui ferait du « fermer les yeux doucement pour mourir » un exercice d’une précision esthétique jamais imaginée.

C’est cette relation liée à la forme physique roulée de la cerise, du melon et de l’œil en tant qu’organe plus ou moins rond, qui est mise en exergue ici. C’est le calcul de la relation de la forme arrondie au temps quand il s’agit de faire glisser un objet de cette forme ronde et lisse sur une autre forme ronde et lisse que le poète viendrait exploiter en relation avec le temps, ou autrement dit : en combien de temps pourrait-on fermer les yeux pour mourir avec douceur en songeant à l’aimée infiniment aimée ? Là ça dépendra aussi de la force naïve ou sournoise (peut –on être sournois au bord de la mort ?) qu’on utiliserait pour parvenir à ça et que le poète renferme dans l’adverbe doucement et qui merveilleusement viendrait supposer la lenteur de cette fermeture dans l’écueil que le lisse de la cerise trouvera à rouler sur le visqueux du melon. Mais attention ! Ici ce n’est pas sur le coulé du melon précise le vers du poète mais sur sa blancheur !

Comment calculer mathématiquement ou physiquement la relation du touchable à l’intangible car dans cet espace cartésien du vers, il est presque recommandé, pour affranchir le sens, d’aller calculer le temps du tomber lisse (rouler dit le poète, et ne peut rouler ici que ce qui est rond et lisse) cerise sur blancheur melon !

Mais, avais-je besoin de toute cette taquinerie de l’esprit pour dire ce « fermer les yeux doucement » d’El Gharbi ? Oui ! Et là je prends conscience d’une chose : combien c’est dans la poésie que se joue l’avenir du monde, pour la conception de l’ultra-humain au moins !

Si Einstein était aussi sémanticien qu’équationnel, si Newton aurait été aussi sensible à l’épaisseur esthétique de la pomme qui tomba et lui suggéra la loi de la gravité, le monde serait peut- être autre ! Et s’il n’aurait été meilleur, il aurait sans doute au moins gagné en profondeur, en épaisseur du « vivre », du « aimer » comme il en est dans le « mourir » !
J’ai cependant, après cette déduction, une vision plus aigüe de cette approche que j’ai imaginée au départ à étages préétablis. Arrivée à ce stade de l’appréhension des mots, je suis émue par ce sens du « tomber » qui pourrait rejoindre, dans un sens caché même à son poète, qui pourtant l’évoque crument, un sens de l’universel car tout en effet tombe dans l’univers , tout descend, sans pour autant s’arrêter de tomber ou de descendre et là ça dépend du descendre ici qui peut monter là-bas ; nous serons dupes de croire que les mots ont leurs sens arrêtés.

Après ces révélations du secret du doux « du tomber d’amour ou de mort » , le « s’éteindre chaudement comme un oreiller rouge sur un drap blanc » s’ouvre de lui-même au sublime de son autre doux posé maintenant et étonnamment dans le verbe éteindre et son contraire suggéré a priori dans son attribut adverbial « chaudement ». Et là, comme pour le vers précédent, s’il est toujours question de couleurs (rouge et blanc) et d’étoffes (l’oreiller et le drap), il est toutefois à considérer toute l’ampleur de ces images poétiques hautement développées.

J’arrive au dernier étage de cette exaltante considération de « l’aimer » et j’ouvre sur l’épanouissement inattendu du sens du poème, et le poète fait miraculeusement son apparition dans cet allongé imaginaire que l’oreiller, le drap et la chaleur suggèrent dans un lit ! Là, plus que dans les images des fleurs et des fruits, l’homme est visible dans son mot.

Ce poème est miraculeux car il imagine à la place de son poète et plutôt que dans le mot, c’est dans l’humain lui-même que l’image se crée dans son entier. Le mot imagine à ma place ; le mot me crée l’occasion de le vivre ou le faire vivre comme le poète donne l’occasion au mot de le réaliser. Mot et homme confondus, qu’est-ce que l’oreiller et de qui lui viendrait la chaleur qui épouse ici le sens du doux, et qu’est-ce que la blancheur du drap dont est désignée la douceur et non dans son satin, s’il ne leur sont pas posé ou au moins suggéré cet amoureux qui dans sa présence en eux les dit et les valorisent ?

Ce sont là les dessous de mots en Rouge et blanc pour des sens accomplis qui au lieu de naître, renaissent -en considérant le sens d’El Gharbi, défini dans ces vers : « Dans le grand livre de l’amour… J’ai donné ma vie pour un signe/D’avant le point initial »-, ressuscitent depuis la mort vers le désir de vivre puis aimer, mais aimer intensément jusqu’au doux exagéré d’un mourir au futur. Mais aussi et surtout des dessous de mots en pétales de roses qu’un sens transparent est venu allouer à cette poésie de deux façons différentes pourtant : quand tombe le poète comme des pétales de roses pour mourir d’amour intensément fort jusqu’à la douceur exagérée, c’est à cette brise toute frêle que fait ouïr la chute délicate de ces papiers de soie que le langage cède cette fois-ci, c’est à cette palpitation du cœur du mot qu’il est donné maintenant d’aller habiller l’aimée de ces pétales car dire « je t’aime » est un dessous de mot que seules les fleurs savent bien habiller.

Dire « je t’aime » déshabille le mot pour l’essentialiser, pour l’originaliser, pour l’affranchir de tout ce qui est inutile, de trop, superflu.

Mais ce n’est là encore qu’apparence car même déshabiller ainsi le mot pour bien et mieux le voir n’atteint pas la force que le poète a déployé en endurance pour épurer ses mots et jusqu’au transparent œil du verbe qui aime jusqu’à la mort et qu’elle soit douce !

Des dessous de mots en pétales de roses, et en fruits pour apprêter le goût à cette lecture et en satins pour confectionner le nid douillet du mot poétique… Telle était d’abord et enfin la prétention esthétique que j’ai mise dans mon titre, tout en songeant pourtant en même temps à des mots –fleurs -femmes que le poète avait dissimulés au cœur de son mot.

Langage a priori habillé élégamment parce que poétique, je me suis donné une liberté de lui dévoiler une de ces facettes, la plus celée peut-être car la plus envisagée par son poète peut-être aussi et étrangement alors la moins exposée aux fouilles archéo-poétiques.

Avant de venir à cette lecture, les premiers mots qui me l’ont suggérée, et que je notais dans un brouillon à la première lecture du poème, étaient : les mots de Jalel El Gharbi vivent en communauté de partage et d’amour : le mot aime le mot, le premier mot aime fortement les suivants.

Et si les mots d’El Gharbi étaient réellement des êtres vivants !





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(1) Poème publié sur le site du poète en date du 24 mai 2011 et traduit dans quatre langues : l’espagnol, l’italien, l’arabe et l’allemand.
(2) Jalel El Gharbi, Prière du vieux maître soufi le lendemain de la fête, Éditions du Cygne, 2010, Paris. Tous les vers cités entre guillemets et n’appartenant pas à l’ « Ode en rouge et blanc » sont tirés de ce recueil. (3)Albert Camus, Noces suivi de L’été, Éditions Gallimard, Paris, 1959, p. 15.

vendredi 17 juin 2011

Liberté pour chacun et prospérité pour tous !

Liberté pour chacun et prospérité pour tous !


La révolution tunisienne est un mouvement post-moderniste en ceci qu'elle s'est distinguée par son refus de tout système de pensée et qu'elle a constitué un déni pour toutes les frontières. Or, il n'est pas possible qu'un tel mouvement soit relayé par les partis à idéologie pesante, de l'extrême droite à l'extrême gauche.

L'avenir en Tunisie est aux partis qui ont très tôt refusé les dérives antidémocratiques du PSD. Seuls ces partis, qui n'ont pas de système idéologique contraignant comme celui de Nahda ou du Poct ou autres, pourront garantir l'avenir de la Tunisie qu'on pourrait résumer en un seul slogan : liberté pour chacun et prospérité pour tous.

Jalel El Gharbi

vendredi 10 juin 2011

Jean Kobs par Giulio-Enrico Pisani

Notre ami Giulio-Enrico Pisani vient de publier dans le Zeitung Vum Lëtzebuerger Vollek cet article.
Le Dernier Voeu de Jean Kobs

Marie-Thérèse Boulanger, l’exécutrice testamentaire de Jean Kobs confiait dans son avant-propos au « Dernier Voeu » (1), ce recueil posthume de poèmes que le poète lui avait adressé en 1964 : « Il était littéralement possédé par le démon de la poésie... ». Elle ne croyait pas si bien dire en évoquant un démon, plutôt qu’une muse, comme génie inspirant ces chants qui malgré leur prudent enfermement dans une décence chrétienne et un conservatisme de bon aloi, fleurent parfois bon le soufre de Prométhée et la passion du docteur Faust. Celui que Marie-Thérèse Boulanger appelait le « Prêtre-poète » et Ferdinand Stoll le « Prince du sonnet (...) curé de campagne », naît à Hayange (2) en 1912. Il séjourne à Houffalize (Luxembourg belge) des débuts de la Première Guerre mondiale jusqu’en 1919, étudie les humanités gréco-latines et la théologie au Petit Séminaire de Bastogne (1923 à 1932), puis au Grand Séminaire de Namur (1932 à 1936). Ordonné prêtre, il devient en 1937 vicaire à Barvaux-sur-Ourthe puis curé à Dinez-Houffalize et à Dave-sur-Meuse jusqu’en 1977. Il décède le 29 août 1981 à Godinne et nous laisse plus de 1600 poèmes.(3)
Mais revenons en à ce recueil, à ce « Dernier Voeu » donc, qui aura exigé presque un demi-siècle et vingt ans après la mort du poète pour se voir exaucé. Enfin, mieux vaut tard que jamais, et il est vrai qu’il aura fallu les constants efforts de nombreux poéticiens aussi persévérants que clairvoyants (4) pour arracher Jean Kobs à l’oubli dans lequel il semblait craindre devoir glisser post mortem. « Car les plus beaux présents que tu puisses m’offrir / au lieu de déposer sur ma tombe des roses / Sont des vers grâce auxquels tu ne peux pas mourir », voyons-nous en effet cité à la fin de l’avant-propos, tercet où Kobs nous prépare déjà à cette étrange schizophrénie poétique qui le pousse parfois à être une autre personne et ailleurs à offrir son moi à une chose quelconque qu’il anime et en laquelle il s’incarne – métempsychose avant terme – le temps d’un sonnet.
Mais comment pourrai-je tenter d’éclairer les mystères que je découvre dans ce recueil à travers les quelques lignes dont je dispose pour le présenter, mystères au-dessus desquels Laurent Fels lève dans son introduction et dans sa postface une lanterne lumineuse mais pas vraiment critique ? (5) Au mieux puis-je donc me contenter d’en effleurer l’un ou l’autre questionnement, tout en me limitant à la présentation de ce remarquable petit ouvrage. Notons d’abord que les poèmes qui y figurent sont soit inédits soit extraits des recueils de Kobs « La Mémoire du Silence » et « Le Kobzar de l’Exil », tomes 1 et 2. Kobzar !? Voilà qui nous mène à l’origine de sa poésie, dont Laurent Fels écrit dans son introduction, qu’« En tant que descendant imaginaire d’un ancêtre ukrainien mythique qui aurait accompagné ses chants des accords de sa kobza (6), le poète se croit naturellement prédisposé à l’écriture de vers ».
Reste à voir si c’est la découverte de ce mythe généalogique qui est à l’origine de sa vocation poétique, ou bien si cette dernière a engendré le mythe au hasard de la découverte d’une homonymie patronymique. Il me paraît en effet difficile de croire à une simple casualité, quand la poésie kobsienne peut puiser dans cette vaste culture humaniste et cette longue éducation classique que Laurent Fels met clairement en exergue. « S’inscrivant dans une lignée de poètes occidentaux (Ronsard, Du Bellay, Heredia), mais aussi (...) orientaux (Hafiz, Saâdi, Khayâm), il est l’enfant de deux cultures et de deux croyances... ». Voilà où sourdraient ses sources, mais là aussi, d’où naît sans doute petit à petit le grand drame de sa vie. Immensément cultivé, érudit nous dit-on, il me paraît impensable que ce poète qui manie le vers comme Hugo ou Proust la prose et qui pénètre la nature comme le pinceau de Segantini ou la pensée de Lucrèce, impossible même qu’il n’ait pas souffert des carcans de la morale bourgeoise et des dogmes ecclésiastiques. L’histoire en connaît des centaines, voire des milliers, de ces prêtres-poètes qui, adolescents idéalistes puis hommes généreux, ne voyant pas, de par leur éducation, d’autre moyen d’exceller dans le bien que le sacerdoce, louvoyèrent leur vie durant entre les bornes de leur ministère et les grands espaces chers au poète. Chacun d’eux résolut (ou ne résolut pas) le paradoxe à sa manière. Kobs semble – mais je n’en suis pas trop sûr – avoir réussi cette quadrature du cercle sans efforts apparents.
À l’un ou l’autre mot près, inséré par ci, par là, généralement sans grande importance, ses poèmes n’ont que peu ou rien à voir avec la religion et me semblent à la limite plutôt panthéistes, un peu à la manière du « Deus sive natura » de Baruch Spinoza. Sans aller, bien sûr – prêtrise oblige –, jusqu’à l’appel lancé il y a 1000 ans par le poète agnostique El-Maari : « Réveillez-vous, ô égarés ! Vos religions sont subterfuges des anciens », car, loin de savoir s’en libérer, Jean Kobs composera – a minima, en quelque sorte et seulement par ci, par là, mais tout de même ! – avec ces « subterfuges ». Aussi, la souvent somptueuse, sensuelle et grandiose beauté de ses sonnets ne souffre que peu de ces chaînes et, à part quelques faiblesses comme le débile poème « Croix ancrée » (7), nous offre des dizaines de chants aussi inoubliables que « L’offrande », « Côte à côte », « Ombre au soleil », « Maison hantée », « Ravissement », « L’écu », ou autres « Visiteurs du soir ». Que dites-vous par exemple de cette passion, amis lecteurs ? « Quand je cerne tes yeux qui sont déjà cernés / par le désir de voir au-delà de la vie, / Si ma langue est parfois par ta langue ravie... » et, plus loin : « Quand souvenir j’ai senti se glisser dans mes veines / Le rythme de ton sang dont avait soif mon coeur... », mais aussi « Et si je puis toujours lire en tes yeux la flamme, / Qui seule peut ici ranimer ma vigueur... »
Et comment ne pas s’émerveiller devant ces objets, ces choses et ces « autres parlants » ou avatars dans lesquels il pénètre pour mieux qu’ils chantent son chant, comme dans « Le vignoble » ? Oyez les amis, car c’est la plante (plutôt que Lǐ Bái ou Omar Khayyám) qui parle, prenant sur elle l’ivresse des sens du curé-poète : « Il n’est pas surprenant qu’aujourd’hui je te donne / Ces présents chaleureux, au retour de l’automne ; / Cueille, et flaire déjà ton ivresse au travers... ». Ailleurs c’est l’escalier, le viaduc, la lampe, une galerie et bien d’autres choses encore auxquelles (ou à qui) le poète prête sa voix et sa vie. Mais il n’hésite pas à redevenir homme quand la contemplation de la vie le ramène à l’amour qui l’engendre : « ... Toi qui connais des peines la morsure, / mes plaisirs fugitifs et mes plus doux émois, / et ne peux pas vieillir en dépit de longs mois, / continue à bercer mon âme et sa blessure... »
Pour conclure et aussi répondre à cette autre question : « Pourquoi le sonnet ? Pourquoi une forme de poésie que la majorité des poètes ont abandonnée depuis un siècle ? », la réponse est : poésie populaire. En effet, malgré quelques traces d’élitisme, la poésie de Kobs se veut accessible à tous, agréable à lire et (parfois) à chantonner comme les comptines, rondes et berceuses de son enfance et ces vers rimés que nous retenions si bien. Il s’en explique d’ailleurs lui-même : « Si j’écrivis des vers de préférence aux proses / C’est parce que le coeur retient mieux leur chanson / (...) / Et j’ai préféré ces quatrains, ces tercets / Des sonnets dont les chants très graves me berçaient, / C’est qu’ils disaient bien mieux mon âme et mon haleine. » Et c’est ainsi que l’un des plus remarquables poètes belges de notre grande région nous offre post mortem sa délicieuse poésie qui marie le visible au sensible, à peine ombrée par ci par là d’étranges paradoxes, ainsi que par l’élitisme désuet et évanescent de certaines évocations. À aborder sans délai pour s’en délecter sans retenue !
***
(1) Jean Kobs : Dernier Voeu, poèmes, 106 p., Éditions Joseph Ouaknine, 54, rue du Moulin à vent, F-93100 Montreuil-sous-bois, tel. 003314870 0659, mail : joseph@ouaknine.fr – commande en ligne : www.ouaknine.fr/commande_livres.htm ou www.artistasalfaix.com/revue/IMG/pdf Jean KOBS_-_Dernier_Voeu.pdf.
(2) À l’époque Hayingen (Elsass-Lothringen).
(3) cf. Wikipedia, Service du livre luxembourgeois, Laurent Fels.
(4) Marie-Thérèse Boulan-ger, Renée Van Coppenolle, Ferdinand Stoll, Michel Ducobu, Michel Pirson, Laurent Fels (détail de leurs contributions en fin d’ouvrage et sur Wikipedia/ Jean Kobs).
(5) Tant qu’à citer Laurent Fels, autant signaler ici son édition et présentation aux Éditions Poiêtês du formidable ouvrage « Oeuvres complètes » en 5 volumes de Jean Kobs, dont le 1er (268 p) a paru fin 2009 et peut être commandé en librairie ou sur http://poietes.poesie-web.eu. Le 2e volume devrait paraître fin 2011/début 2012.
(6) Kobza : instrument à cordes. Le kobzar était en Ukraine un barde itinérant qui chantait en s’accompagnant de sa kobza. « Kobzar » est également le titre d’un recueil du grand poète ukrainien Taras Chevtchenko (1814-1861).
(7) Où il mélange rêve, astronomie et gymnastique avec le signe commémoratif du supplice de Jésus.
Giulio-Enrico Pisani

lundi 6 juin 2011

Ibn Arabi

محي الدين بن عربي
لقد كنت قبل اليوم أنكر صاحبي
إذا لم يكن ديني إلى دينه داني
لقد صار قلبي قابلاً كلّ َ صورة ٍ
فمرعى لغزلان ٍ ، ودير ٍ لرهبان ِ
وبيت ٍ لأوثان ٍ وكعبة طائف ٍ
وألواح توراة ٍ ومصحف قرآن ِ
أدين بدين الحب أنى توجهت ْ
ركائبه ، فالحب ديني وايماني"

Moheïddine Ibn ’Arabî (1164 Murcie-1240 Damas )
Auparavant je pouvais renier un ami
Si ma foi ne se rapprochait pas de la sienne
Maintenant mon cœur accueille toute figure
Il est désormais prairie pour les gazelles, couvent pour les ermites
Bétyle pour les idoles, Kaaba pour le pèlerin,
Planches de la Torah et un Coran
L’amour est ma croyance où que s’orientent
Ses convois ; l’amour est ma religion et ma foi.

Traduction de Jalel El Gharbi