Pour l'UGTT, force de progrès.
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mardi 24 septembre 2013
mardi 17 septembre 2013
Poème de Christian Garaud
Ecrire, c'est ajouter si peu que ce soit à la rumeur des mots dans la rumeur du monde.
C'est essayer de mettre ensemble la parole et le silence, le mot qu'on cherche et la main qui se pose sur le genou.
C'est répondre comme on peut à la voix qui demande en passant : pourquoi tu es encore vivant ?
Christian Garaud, D'où vient la voix. Editions des Vanneaux
vendredi 13 septembre 2013
Tunisie-Algérie
Dans l'article ci-dessous, notre ami Boubaker Ben Fraj montre que l'intervention de l'Algérie dans la crise politique tunisienne ne relève pas de l'ingérence.
Notre voisin Algérien et nous
Par Boubaker ben Fraj
A un jour d’intervalle, le Président algérien Abdelaziz
Bouteflika, à peine remis de sa lente convalescence, reçoit à Alger,
successivement Rached Ghannouchi, chef du parti Ennahdha, et Béji Caid Essebsi,
leader du parti Nida Tounes ; deux personnalités clés qui dirigent les deux
partis prépondérants dans la scène politique tunisienne : le premier au pouvoir
et le second, chef de file de la coalition de l’opposition.
Ghannouchi et Essebsi disent,
sans convaincre personne, s’être précipités à Alger avant tout, pour s’enquérir
courtoisement et fraternellement de la santé de Bouteflika, et pour le
féliciter de la récente reprise de ses
activité.
Quant aux communiqués officiels,
supposés rapporter tant la teneur des longues entrevues avec le Président algérien,
que celle des réunions préparatoires confidentielles avec les hauts dignitaires
de son gouvernement , ils sont, comme on devait s’y attendre, formulés en des
termes généraux, conventionnels et diplomatiques, qui laissent transparaitre
très peu de choses d’un côté, sur les véritables tenants et aboutissants de ces
deux visites , et de l’autre, sur le contenu des discussions qui ont eu lieu,
entre Bouteflika et ses deux hôtes.
Mais, secret de
Polichinelle, les commentaires fusent, et tous les observateurs, tant tunisiens
qu’algériens et internationaux, savent
par la force des choses, que cette rapide escapade algéroise à un jour près,
des deux principaux adversaires politiques du moment, n’est nullement de
l’ordre des coïncidences.
Tous le monde sait aussi, que le premier objet de ces deux
visites, organisées à l’initiative des autorités algériennes à leur plus haut niveau,
n’est autre que la recherche d’une issue rapide à l’impasse politique qui bloque
aujourd’hui notre pays, et d’une fin au bras de fer, qui perdure entre le
pouvoir en place de la Troïka, et l’opposition.
Une impasse, qui risque, aux yeux des Algériens si elle
persiste, de compromettre la stabilité politique de la Tunisie, et de
compliquer gravement et durablement une situation sécuritaire devenue, après
tout ce qui est arrivé, trop alarmante.
Alarmante, non seulement pour les Tunisiens, mais aussi pour
les responsables algériens ; eux qui savent mieux que quiconque, que les
groupes armés, étroitement liés à Al-Qaïda dans le Maghreb islamique « AQMI »,
qui ont réussi à la faveur du relâchement sécuritaire qui a suivi la révolution
à prendre pied en territoire tunisien, à un jet de pierre de chez eux, ne
reconnaissent pas de frontières et n’en font aucun cas. Et de ce fait, ces
groupes jihadistes aguerris comptent, au cas où ils parviennent à élargir ou à
pérenniser leur présence en Tunisie, constituer une rallonge stratégique et un renfort
opérationnel de taille, pour les groupes combattants de la même allégeance, qui infestent depuis
deux décennies, et encore aujourd’hui, le territoire algérien lui-même.
Aussi, les Algériens, qui semblent ces derniers temps
aléatoirement rassurés du côté de leur frontière Sud avec le Mali, ont-ils du
même coup, les raisons sérieuses de s’inquiéter de la détérioration dramatique de
la situation sécuritaire dans notre pays, notamment le long d’une frontière commune, longue d’un
millier de kilomètres, qu’ils savent de part et d’autre, trop perméable,
difficilement contrôlable ; et qui s’apprête bien, tant aux infiltrations
des hommes que des armes, sans parler des trafics de toutes sortes, qui leurs
servent de terreau et de source de financement. Longue frontière commune,
enchevêtrée, souvent montagneuse, peuplée et boisée, qu’il est très difficile,
sinon impossible de maîtriser militairement, quels que soient les moyens que l’Etat
algérien serait en mesure de mobiliser
et les sacrifices qu’il serait obligé de consentir.
C’est donc la raison essentielle,
voire l’urgence, qui a pressé nos voisins algériens au cours de ces derniers
jours, à ouvrir les canaux les plus courts, les plus directs et les plus
rapides, du dialogue avec les deux principaux protagonistes de la scène
politique tunisienne. Ils veulent avant tout parer autant que faire se peut,
aux menaces réelles qui pèsent sur leur propre sécurité, à partir de la Tunisie
et à cause de ce qui passe chez nous.
Nos voisins de l’Ouest
seraient, en prenant cette initiative de dialogue, beaucoup plus soucieux
d’écarter l’incendie de leur propre demeure, ou au moins d’en diminuer les
risques, que motivés par une volonté délibérée d’ingérence dans nos affaires
intérieures ; une volonté d’ingérence improbable guidée par une arrière
pensée hégémonique, et qui serait pour l’Algérie elle-même, autant que pour la
Tunisie, une aventure aux conséquences hasardeuses, dont ni l’un ni l’autre des
deux pays voisins, n’est actuellement en mesure d’engager, ou d’en d’assumer le
prix et les conséquences .
Cessons alors d’établir
à la va-vite des comparaisons entre des incomparables ; comparaisons qui
ne résistent, ni aux arguments de l’Histoire, ni à ceux de la géographie :
la Tunisie n’est et ne sera jamais le Liban, et l’Algérie n’est et ne sera pas
la Syrie.
jeudi 12 septembre 2013
Politique, Siyassa et boulitik en deux mots
Le mot "politique" vient du grec πολιτική . Dans sa polysémie, il signifie d'abord "civilité", "civisme". Il se traduit en arabe par السياسة "Siyassa" qui vient du verbe ساس "sassa", diriger, orienter, mener, gérer, gouverner. Farabi (Alpharabius), grand commentateur persan de Platon, a longuement écrit sur ce concept. En persan, la "politique" se traduit, comme en arabe, par السياسة .
Dans le dialecte tunisien, le mot السياسة signifie "douceur", "non-violence".
Entendue comme mensonge, supercherie, complot, micmac, manoeuvre, conspiration, manigance, "politique" se dit "boulitik".
Ceux qui défendent les valeurs tunisiennes le font avec "siyassa". Ils font de la "siyassa", ce qui est la négation même de la petite politique. Le reste n'est que "boulitik" à ceci près que dès lors que le sang coule ce n'est plus de la "boulitik" mais crime.
mardi 10 septembre 2013
De la traduction par Giulio-Enrico Pisani
Soyons tous des
traducteurs
Padiamenopé, chef des prêtres-lecteurs. Thèbes. Tombe 33. VIIeme siècle a J.C
Qui
ne connaît pas le bon mot italien «Traduttore =Traditore», qui stigmatise
la traîtrise ou, pour le moins, le manque de fiabilité des traducteurs!? Le ton est à la plaisanterie, bien sûr. On les connaît en fait très peu et très mal,
ces innombrables bâtisseurs de ponts entre les gens et les cultures. Discrets et, la plupart du temps anonymes de
fait, rares sont ceux qu ont abusé de leur position d’intermédiaires obligés. En règle générale, le profane qui leur confie
son texte doit et peut leur apporter la confiance du tétraplégique à son
infirmière. Totale! A-t-il d’ailleurs le choix? Les malentendus graves imputables à des
erreurs de traduction ne sont par ailleurs guère plus nombreux que ceux pouvant
surgir entre interlocuteurs ou correspondants de même langue. De leur côté, ceux-ci seraient bien inspirés
de se voir d’une certaine manière eux-mêmes comme traducteurs. Car toute pensée, même formulée et entendue
dans une seule langue, exige une sorte de traduction entre sa formulation (expression)
et sa perception (réception), deux aspects essentiels, complémentaires, mais
très différents, voire parfois opposés, de la communication humaine.
Mais
revenons à la traduction, disons, «normale», entre deux langues. On est loin de la sinécure. C’est que chaque langage a son propre génie, et
ses locuteurs nagent depuis des générations dans de eaux à nulles autres
pareilles. La majorité des expressions
idiomatiques n’ont pas d’équivalent précis hors de leurs frontières linguistiques
ou vernaculaires. J’en connais plein des
mots, des tournures, des locutions italiennes, anglaises, espagnoles ou allemandes
intraduisibles en français et réciproquement. D’autre part, bien d’expressions, de mots, de termes
se sont maintenus dans une langue et ont disparu de l’autre.
Considérons
par exemple la «casualité»,(1) dont Johannes Erich Heyde constate la dépréciation
dans son fameux «Die Entwertung der Kasualität». Voilà un terme désignant un principe
primordial qui a disparu en français de la majorité des livres et
dictionnaires,(2) lorsque l’allemand «Kasualität», l’anglais «casualty», l’Italien
«casualitá» ou l’espagnol «casualitad» sont d’un usage courant. Un comble au pays de Blaise Pascal, le
découvreur des probabilités! «Bof», dira
le Français. «Est-ce donc si grave? Si un mot tombe en désuétude chez nous, c’est
qu’on en ressent plus le besoin». Oui,
mais quand il n’existe plus aucun équivalent, il y a appauvrissement de la
langue. Que fait celui qui doit se triturer
méninges pour traduire vers le français moderne un texte allemand, anglais ou
italien contenant ce mot? Circonlocution? Approximation? Trahison?
Et
voilà ce à quoi nous, Luxembourgeois, comme tous les peuples que l’histoire a
faits polyglottes, sommes confrontés jour après jour. Voilà ce que nous affrontons vaillamment,
quoique, parfois – reconnaissons-le – sans trop d’enthousiasme, nous dont les
vocables maternels doivent constamment céder à d’autres parlers. Petite ombre d’envie, certes fugace, mais quand
même, pour ces trans-mosellans ou trans-ardennais qui n’ont qu’à maîtriser une
seule langue.(3) Et qui pourrait-il nous
en tenir rigueur, à nous, qui sommes en permanence nos propres traducteurs, dont
la cervelle est parcourue par d’incessants messages et échanges polyglottes,
équivalences et similitudes, termes et leur transposition ou transformation de
ou vers le luxembourgeois, l’allemand et le français? Sans compter que viennent parfois s’y ajouter
l’anglais, ponctuellement l’Italien, parfois l’espagnol et de plus en plus
souvent le portugais, tout un chassé-croisé qui nous donne plus souvent qu’à
notre tour l’impression d’avoir un mélangeur-batteur à la place du cerveau.
Douloureusement
conscients de nos carences de culture, compréhension et expression dans ce hall
de gare intellectuel qu’est le multilinguisme, nous avons beaucoup d’estime
pour ceux qui ne perdent pas le nord dans leur tour de Babel. Aussi sommes-nous particulièrement bien
placés dans l’agitation frénétique de cette salle des mots perdus, cherchés,
retrouvés, rassemblés, recomposés, traduits, qu’est le Grand-duché, pour
apprécier le travail du traducteur compétent, perspicace, honnête et
consciencieux. Admiratifs, oui, devant
ces personnes qui consacrent tout ou bonne part de leur vie à faciliter la
communication, l’accès à d’autres manières de penser et, par là, la compréhension
entre les gens! On est loin de la sombre
et ingrate besogne que décrivait l’écrivain et traducteur Charles Morice en
parlant de son gagne-pain.
Les
plus grands s’y frottèrent. Citons parmi
bien d’autres, justement, Charles Morice, mais aussi Giacomo Leopardi,
Prosper Mérimée, Johann Wolfgang Goethe, Gustave Flaubert, Charles Baudelaire, Stefan
Zweig, ou les moins renommés mais tout aussi méritoires Ludwig von Alvensleben,
Georg Herwegh, Ji Xianlin, Nabil Ajan, Gloria Lazzoni, Georges Hérelle, Fayza el-Qasem,
Jalel el Gharbi, Rüdiger Fischer, et j’en passe... des millions. À quand un dictionnaire des grands
traducteurs!?
Qualifier,
comme Morice, cette besogne par l’adjectif «sombre» est effectivement pour le
moins exagéré, mais il faut quand même reconnaître que la traduction, surtout de
textes littéraires, est particulièrement ingrate, voire paradoxale. La première difficulté majeure est que les
traducteurs qui sont aussi écrivains, sont tenus de s’effacer devant l’esprit
et les intentions des auteurs qu’ils traduisent, et ce même si leur renommée est
supérieure à celle de ces derniers. Des
personnalités par ailleurs remarquables mais plus ou moins égocentriques
peuvent ne pas y parvenir. Et quand ils
ne sont pas capables de sortir d’eux-mêmes pour devenir l’autre, les choses se
gâtent. Un assez bon exemple de cette
difficulté – qui a d’ailleurs généré cette réflexion – m’a été donné par une traduction
publiée sur le blog d’un écrivain,
essayiste, poète et... traducteur bien connu.
Le Caravage, Saint-Jérôme écrivant
On
peut notamment y lire un poème anglais du poète Norton Hodges traduit en
français par cet autre excellent écrivain et poète qu’est Athanase Vantchev de
Thracy. Le problème, c’est que, loin de
s’oublier lui-même pour mieux pénétrer l’esprit et les intentions de Hodges,
Thracy, pourtant un traducteur de poésie chevronné, embellit, recompose, interprète
le texte à sa manière. Norton Hodges y parle
avec sobriété et retenue d’un problème de la (sa?) vie de poète et de la poésie,
dont il a vidé son esprit pour le voir se matérialiser sur l’espace blanc des
pages du livre achevé et imprimé. Voici
ses trois derniers vers:
«...
yet his own eyes are dry, empty of
the feelings he squeezed onto the
pages,
longing for less words, more
white space. »
que l’on peut
traduire simplement par :
«...
mais ses yeux à lui sont secs, vides
des
sentiments exprimés sur les pages,
aspirant
à moins de mots, à plus d’espace blanc.»
Thracy, lui,
enfourche ses grands chevaux lyriques et nécessite 4 vers pour en faire...
«Mais
ses yeux à lui restent secs, vides de tous
Ses sentiments qu'il a déjà
exprimés de son coeur sur les pages
Rêvant
à des poèmes où les mots sont des îles
Perdues
dans
l'immense page blanche.»
Les
termes (que je souligne) tous, ses, déjà, de son cœur,
sont des îles, perdues dans, sont déjà en soi de trop, mais les
deux derniers vers (au lieu d’un seul dans l’original) font pire. Ils expriment une idée poétique imaginée par
le traducteur, qui se substitue ainsi au poète.
Très jolis vers à par ça, mais partiellement superfétatoires. Le traducteur y interprète de manière personnelle
et fantaisiste l’esprit de l’original. Contrairement au tour de force réussi par Charles
Baudelaire avec les contes d’Edgar Poe, où, le temps d’une traduction, le plus
grand des poètes français devient ce maître du suspense anglo-saxon, Thracy ne
cesse à aucun moment d’être Thracy. Pis
encore (pour la traduction), il va jusqu’à «parfaire» d’éléments tirés de sa
propre oeuvre poétique le poème original qui lui a été confié. Et c’est dans le très beau poème «Les
Mots» d’Athanase Vantchev de Thracy lui-même que l’on peut lire: «Oui, mon Ami, les mots sont des îles...». Soit,
l’allégorie n’est pas vraiment neuve et se lit agréablement. Mais de là à l’employer pour traduire «less
words», «moins de mots» (l’idée du «moins» étant d’ailleurs arbitrairement
remplacée par celle du «peu / rare/ isolé»), il y a une ligne que le traducteur
ne doit pas franchir: la réinterprétation arbitraire de la pensée l’auteur.
Quelle
différence avec le rapport de connivence quasi-symbiotique qui lie par exemple le
poète Pierre Joris et son traducteur Eric Sarner,(4) pourtant écrivain de renom
lui-même! Les traductions de Sarner sont
de véritables friandises. D’une aisance
trompeuse, elles sont à la fois simples, précises et fidèles. Voilà, par exemple, comment dans sa série «Rothenberg
Variations», au # 3, «old legs & fish / terror sees behind mountains
/ how to be mountains...» devient «vieilles
jambes & poisson / la terreur voit derrière les montagnes / comment être
montagnes...».
C’est que Sarner oublie d’être Sarner le temps qu’il «est» Pierre Joris. Ce dernier peut dès lors lui confier son
texte les yeux fermés et, quoique écrivant parfaitement le français
lui-même, laisser à Sarner la traduction de ses poèmes anglais.
Aujourd’hui
il me semble qu’en suivant ce raisonnement on peut peut-être mieux comprendre à
quel point le rôle des traducteurs capables et consciencieux est éminemment
civilisateur. Ils ne jettent pas
seulement, comme je l’ai écrit plus haut, des ponts entre les gens de cultures
et de langues différentes. Ils
représentent aussi la personnification et la concrétisation de l’entente, aussi
possible que souhaitée tous azimuts, entre les individus et, par là, entre les peuples. Si, en effet, au coeur de toutes les ethnies
et les nations, les femmes et hommes qui les composent, ainsi que leurs
dirigeants essayaient, à l’instar de bons traducteurs, de se mettre systématiquement
dans la peau de leurs interlocuteurs, tentaient de pénétrer leur esprit et de
comprendre le cheminement de leur pensée, il y aurait sûrement moins de malentendus,
de discorde, d’affrontements et de guerres.
Le
fait que le Luxembourgeois fasse de la traduction au quotidien, un peu comme
monsieur Jourdain faisait de la prose, expliquerait-il son aversion pour la
violence? La solution de cette plaie (et
de bien d’autres) ne serait-elle pas, en fin de compte, que nous devenions
tous, chacun à son niveau et selon ses capacités, de bons traducteurs!?
*
1) Casualité : qualité de, respectivement
principe régissant, ce qui est casuel, occasionnel, fortuit. (du latin casualitas,
de casus: hasard, occasion, accident). Ne pas confondre avec son paronyme causalité: rapport de cause à effet,
respectivement principe rattachant cause et effet.
2)
Sauf
le Littré et, depuis peu, le wiktionnaire.
3)
Combien
de temps encore pourront-ils se permettre ce luxe?
4)
Sur
Eric Sarner, ainsi que sur les recueils Aljibar et Aljibar II de Pierre Joris
(né à Luxembourg en 46 et parti aux USA à 19 ans), voir mes articles dans
Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek 6.4.2007 et 17.7.2008.
Giulio-Enrico
Pisani
Zeitung vum
Lëtzebuerger Vollek
Luxembourg, 23.12.2008
mercredi 4 septembre 2013
Attilio Carissimi : rêves et autres plastiques
Chers amis, en attendant que nous aussi nous puissions pâtir de ces étés où il ne se passe rien, où "une étoile pourrait naître qu'on ne la remarquerait pas". Je vous invite à suivre notre ami Giulio-Enrico Pisani écumant les galeries d'art et découvrant des merveilles sur leurs cimaises.
Carissimi, Violenza
Attilio Carissimi : rêves et
autres plastiques
Giulio-Enrico Pisani
Lux., septembre 2013
Zeitung Vum Lëtzeburger vollek
Ah, les vacances, la pause estivale, le trou d’été, désert
culturel, désert politique, désert tout court!
Comme si tout le monde était parti.
Comme si personne n’avait pas déjà été en vacances ou n’y était pas
encore allé. Comme si la majorité des
résidents luxembourgeois, donc tous les non partis n’étaient personne, comme si
seuls les aoûtiens, les absents du mois d’août, valaient le coup. L’époque qui amène Luc Caregari à écrire «Quand les chiens écrasés - voire les ânes -
apparaissent sur les unes des titres de presse, c'est le signe que nous
traversons le trou d'été».[1] Pas de nouveautés muséales, pas de vernissages
non plus, bien sûr, à la rigueur quelques expos pot-pourri, bric-à-brac,
capharnaüm, laissé-pour-compte, fonds de tiroir, etc... Bon, ce n’est pas grave
en soi, mais le problème, c’est qu’on s’installe à tel point dans l’inertie, le
farniente, le non-évènement, le rien, qu’on s’en irrite d’abord, puis on s’y
résigne et que l’on rate même ce qui vaut le coup. Une étoile pourrait naître, qu’on ne la
remarquerait pas, ou une merveille, ou un grand artiste italien traversé
peut-être par l’idée saugrenue que, rien n’ayant lieu en Italie au mois d’août,
pourquoi ne pas monter et se montrer au Grand-duché. Or, cela revient un peu à tomber de la poêle
dans la braise, de Charybde en Scylla
ou du Sahel dans le Sahara.
Mais la faute n’en incombe pas exclusivement aux
galeries d’art; en fait, c’était à moi d’aller les explorer, au lieu d’attendre
d’hypothétiques invitations. Je bats par
conséquent mon mea culpa, ma faute, ma très grande faute. Et... voilà déjà le pardon, la grâce, la trouvaille
– tardive est-il vrai; mieux vaut tard que jamais – d’une affiche de la Galerie d’art contemporain Maïté,[2] collée au zinc du bistro où j’ai mes habitudes. Ah, c’est qu’elle n’a pas besoin d’églises,
la grâce, pour se manifester. Vous
souvenez-vous, amis lecteurs, c’est déjà chez Maïté, que j’ai fait il y a huit
mois l’extraordinaire découverte de l’artiste luxembourgeois Roger Dornseiffer.[3] Mais, pourquoi tardive? Eh bien, parce que je découvre fin août une
exposition ouverte depuis la mi-juillet et qu’il ne vous reste que jusqu’au 15
septembre pour la visiter à votre tour. Vous
ne m’en voudrez pas au moins? Et ce d’autant
moins que, grâce à un gouvernement incompétent, nous voilà avec des élections
anticipées, où j’espère que certains d’entre vous voudront bien me donner leur
voix, ou, mieux encore, à toute la liste 3. Mais
passons, ou plutôt rendons-nous avenue Marie Thérèse à l’angle du boulevard
Prince Henri face au parc municipal – en fait près du pont Adolphe – et
poussons la porte vitrée de l’Immobilière Maïté, derrière laquelle s’ouvre,
côté droit, la belle galerie de même nom.
Carissimi, Al teatro
Et là, c’est – croyez-moi
– l’éblouissement, la surprise, la joie des yeux et de l’esprit face à la valse
lente, à la troublante pavane, au chant plus onirique que dramatique (sauf
exception, surtout dans les plastiques), que forme l’univers poétique d’Attilio
Carissimi, concrétisé en peinture et sculpture.
Et là encore, j’ai envie de vous dire «laissez toutes vos idées préconçues au vestiaire», tout comme «oubliez tout ce que vous savez d’histoire de
l’art», voire même que «si vous ne
savez pas distinguer un Renoir d’un Giotto, c’est tant mieux». Les personnes, les foules, choeurs, groupes
ou bacchanales peintes par Attilio parfois aux limites de l’abstraction sont
impressionnantes de réalisme, de sensibilité; ses femmes et hommes au visage sans visage étant d’une
expressivité intérieure troublante. Plus
poignant que celui des anonymes d’un J. A. Cardon ou des soldats du peloton
d’exécution de Goya, cet occulté des figures n’a rien de la froideur des
visages sans visage de Malevitch ou De Chirico et rappelle plutôt
l’expressivité sous-tendue des faces sans visage de Giacomazzi. Tout dans la peinture d’Attilio est
sensibilité – parfois d’écorché vif –, mais aussi rêve, nuance, douceur,
compréhension profonde et complicité tacite.
Il est vrai que ses sculptures sont souvent moins tendres, plus
tranchées, comme si pour Attilio la troisième dimension devait enfanter une
dose de dureté. Lorsque face à ses
tableaux, ses sfumati, ses personnages mi-humains mi-esprits, j’imaginais le
passage de l’art graphique au plastique tout en douceur, via la terracotta
peut-être, ou via le bois, notre artiste préfère sculpter dans le bronze, le
pugnace airain des anciens. Et c’est
dans le bronze qu’il forge une pléthore de formes et de créations, qui vont de
l’abstraction la plus pure (rare) et sans autre signification que sa propre
beauté jusque, à travers tout ce que l’on peut imaginer, à une figuration
tellement réaliste qu’elle en est poignante. Sa féroce «Violenza»,
le grand Rodin lui-même ne la désavouerait pas, et elle n’eût pas déparé dans la
«Porte de l’enfer» du maître français.
Attilio Carissimi est
né en Lombardie, à Bergamo, en 1939, s’est adonné très tôt aux arts aussi bien graphiques
que plastiques et a suivi régulièrement, à côté de ses études de chimie à l’Institut
technique industriel, des cours de dessin dans sa ville natale. L’un de ses principaux professeurs fut le
sculpteur bergamasque Piero Brolis.
Jusqu’en 1975 il travaille comme technicien chimiste tout en participant
à de nombreuses expositions collectives qui lui valent maintes distinctions,
dont le 3e prix au concours «Il Palladio» à Vincenza en 1970. En 1975, la famille Carissimi déménage sur
les rives du lac de Garde, dans le pittoresque village de Malcesine, où Attilio
travaillera d’abord dans l’atelier du peintre Ottavio Giacomazzi, lui-même
élève du célèbre Manfred Henninger de Stuttgart. Il est d’ailleurs étonnant, combien de
Henninger on retrouve en Carissimi, au point que parler d’une filiation spirituelle
(par dessus Giacomazzi?) Cézanne > Henninger > Carissimi ne me paraît pas
aventureux. Plongé désormais dans le
milieu des beaux-arts, Attilio y établira de nombreux contacts et participera
dès lors à un grand nombre d’expositions, aussi bien en Italie que dans le reste
de l’Europe.
Et voilà, en attendant
d’aller visiter l’atelier de l’artiste dans ce lieu paradisiaque qu’est le
village de Malcesine (province de Verone) sur le lac de Garde, ne manquez
surtout pas de venir le découvrir à la galerie Maïté. Outre la «Violenza»
citée plus haut, vous attendent également d’extraordinaires bronzes comme «Materia nascosta», «Enigma donna» et bien d’autres, ainsi que les splendides peintures
«Baccanali», «Spiaggia» ou celles de la série «Ricupero» et j’en passe. L’exceptionnel
talent d’Attilio Carissimi, sa polyvalence, son indépendance de style et la
subtile harmonie que dégage le concert des oeuvres exposées, si différentes du connu
et s’inscrivant pourtant parfaitement dans le paysage du grand art, ne peuvent
laisser personne indifférent. À voir et
à revoir !
[1] Éditorial Woxx Nr. 1228 du 14 aôut.
[2] Maïté, Galerie d’Art contemporain, 12 avenue Marie-Thérèse,
Luxembourg ville, expo Attilio Carissimi jusqu’au 15 septembre, lundi à
vendredi de 9.00 heures à 19 heures, samedi après-midi de 14.00 à 18.00.
[3] Si vous n’avez pas lu ma présentation sur Roger Dornseiffer
dans nos colonnes le 15 janvier, vous pouvez vous rattraper en ligne sur www.zlv.lu/spip/spip.php?article8755
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