mercredi 5 février 2014

Tunisie An 4 , par Giulio-Enrico Pisani

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 Le Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek publie aujourd'hui cet article que nous devons à notre ami l'écrivain Giulio-Enrico Pisani.











 Vue de Ghar El Melh, l'ex- Porto Farina


Giulio-Enrico Pisani

Luxembourg, février 2014


Tunisie An 4 : naissance d’une démocratie


Dans mon article «La gésine sans fin du combat pour la démocratie et la justice sociale en Tunisie...» paru le 3 janvier dans ces colonnes, j’annonçais que le 14.12.2013,[1] une majorité des partis de l’ANC, Assemblée nationale constituante, s’étaient mis +/- d’accord pour désigner le «technocrate» Mehdi Jomaâ comme 1er ministre chargé de former un gouvernement aussi provisoire qu’essentiel.  La nouvelle constitution n’étant toutefois pas encore achevée et une dernière obstruction n’étant pas à exclure, je restai prudent.  Eh bien, quelques fussent les raisons de mon scepticisme, justifié est-il vrai par une succession de crises, violences islamistes à répétition et graves insuffisances des gouvernements successifs depuis le 14 janvier 2011,[2] je dois reconnaître avoir eu tort, enfin, du moins partiellement.  Disons que par moments, autant les faits que le pessimisme de certains amis tunisiens, me firent voir le verre à moitié vide plutôt qu’à moitié plein.

 Après des années de discorde, disputes et pinailleries grotesques, les députés de l’ANC approuvèrent en effet cette année entre le 3 et le 23 janvier au prix de bien de concessions de part et d’autre, les 149 articles de la nouvelle constitution du pays à une majorité de 200 voix pour, 12 contre et 4 abstentions.  Proclamation officielle, le 26 janvier!  Ce n’est certes qu’une constitution de compromis entre les deux grandes tendances – islamiste et progressiste – et tout n’y saurait être parfait.  De nombreux points y restent sujets à interprétation.  Mais ceci étant dit, ces longues années d’affrontements et tergiversations ne furent pas entièrement perdues.  Aussi pouvons-nous lire dans la presse,[3] que cette constitution consacre un exécutif bicéphale et accorde une place réduite à l'islam, introduit un objectif de parité homme femme dans les assemblées élues, garantit la liberté d'expression et d'opinion et interdit la torture tant physique que morale.  Selon le constitutionnaliste belge Francis Delpérée, qui y a collaboré, c’est le texte le plus progressiste du monde arabe et il correspond aux standards internationaux.

Même esprit de conciliation et de compromis pour ce qui est du nouveau gouvernement «technocratique» de Mehdi Jomahâ.  En effet, après une séance plénière marathon, l’ANC – tout de même dominée par Nahdha – a enfin voté le 29 janvier à 1 h. du matin la confiance au nouveau gouvernement à 149 voix sur 193 votants.  Sceptique malgré tout, un journaliste tunisien m’écrivit, en m’annonçant la bonne nouvelle quelques heures plus tard, «La partie n’est pas gagnée d’avance et toutes les forces progressistes doivent certes soutenir Jomahâ, mais rester vigilantes. La révolution commence maintenant!»  Exact.  Mais, de toute manière, les Tunisiens n’avaient plus vraiment le choix.  Aussi fus-je amené moi-même à conjurer un blogueur qui s’insurgeait contre le «flou artistique» de la nouvelle constitution et du gouvernement Jomahâ, de ne pas jouer la carte du défaitisme. 

La révolution n’est pas achevée, lui dis-je. La révolution française mit 80 années à se faire (Convention, Terreur, Directoire, Consulat, Empire, Restauration, révolution de 1948, 2e République, 2e Empire, Commune, 3e République...).  Certes, j’avais moi aussi espéré voir le bout du tunnel après trois années d’ombre, mais rien de ce qui est humain n’est simple.  Loin de me réjouir sans réserve avec les Tunisiens de ces modestes acquis, je suis en effet bien conscient que la partie n’est pas encore gagnée pour les forces progressistes libérales et de gauche.  Aussi, à la question «Quand les textes (constitutionnels) ont-ils ligoté les Etats?» du tristement célèbre islamiste salafiste Béchir Ben Hassen et à son affirmation «Pratiquement, ce qui fait la loi ce n’est pas la Constitution. C’est le rapport des forces sur le terrain» la réponse est claire: rien n’est encore joué.  Mais cela vaut pour les uns comme pour les autres. 

C’est par conséquent aux progressistes de ne pas s’enfoncer dans la critique stérile, de relever le gant et de tout mettre en oeuvre pour gagner les prochaines élections en s’unissant après avoir reconnu que cette union est la seule option pour ne pas sombrer.  En faisant valoir la désastreuse administration du parti islamiste Nahda ces 2 dernières années, il est très possible de le battre.  Le mot d’ordre de Clara Zetkin s’impose donc plus que jamais: «La nécessité de l’heure, c’est le front uni de tous les travailleurs pour repousser le fascisme. Devant cette impérieuse nécessité historique, toutes les opinions politiques, syndicales, religieuses, idéologiques, qui nous entravent et nous séparent, doivent passer au second plan...»[4].  Et voici en outre quelques mots du philosophe Mohamed Ali Halouani[5] concernant l’attitude négative de ceux qui voudraient tout obtenir tout de suite face à ces deux grands compromis:


«...Les gens ne distinguent malheureusement  pas entre deux phases ou processus: celui de l'élaboration de la constitution en premier lieu et, en deuxième lieu, celui de la mise en place d'un gouvernement plus ou moins indépendant et plutôt de type technocratique. Mais alors que l'opposition avait raison en gros de mettre la pression pour avoir le plus d'acquis progressistes, une partie de cette même opposition avait continué sur sa lancée à tout refuser en bloc, comme s'il ne s'agissait pas en fin de compte de deux processus séparés (en dépit de ce qu’ils ont laissé croire: qu'ils étaient des processus liés et complémentaires). Ils n'arrivent pas à comprendre que le Pays en tant que tel, le pays qui vit, mange et produit est en passe de faire faillite et que tous, y compris les forces politiques, ont besoin de reprendre des forces, et que c'est vital, sinon (...), adieu élections...».

Quant à nous, amis lecteurs, nous pouvons souhaiter au peuple tunisien de poursuivre et de réussir sa révolution, en continuant à être le modèle – imparfait et pourtant unique à ce jour – d’un printemps arabe ailleurs désastreux.  Et puisse son exemple donner espoir aux peuples assoiffés de démocratie, mais dont le sang révolutionnaire aurait été figé par les tragédies libyennes, égyptiennes et syriennes.  Mais la paix et la sérénité politiques retrouvées en Tunisie méritent plus que des félicitations.  Elles sous-tendent également un vibrant et urgent appel à nous tous.  Rien ne sert en effet d’avoir trouvé la démocratie et recouvré la paix, si l’économie malmenée par 3 années de révolution, si un pays exsangue et un tourisme en berne, ne permettent pas au peuple de retrouver au moins cette modeste prospérité qui l’autorise à ignorer les sirènes islamistes.  Mais que pouvons-nous faire?

Si nous n’avons pu trois ans durant qu’assister impuissants à une révolution où toute immixtion étrangère était mal venue, il est temps à présent de manifester notre solidarité pour cette Tunisie courageuse et de lui faire retrouver la manne touristique que nous lui nous apportions avant la révolution.  Mais pas seulement.  Car ce tourisme balnéaire «Sea, Sand, Sun» qui rendit ses plages célèbres, ne doit pas faire oublier les milliers de destinations culturelles et les trésors artistiques phéniciens, carthaginois, romains, byzantins, musulmans, hébraïques et j’en passe.  C’est donc en répondant concrètement à l’appel de la nouvelle ministre du Tourisme, Amel Karboul, que nous pourrons retrouver dès cette années les merveilles des plages, golfes, îles et parcs nationaux[6] tunisiens et faire, si nous le désirons, des découvertes culturelles sans pareil.   
ERRATUM : 

j’ai erronément attribué les phrases « Quand les textes (constitutionnels) ont-ils ligoté les États ? », « Pratiquement, ce qui fait la loi ce n’est pas la Constitution. C’est le rapport des forces sur le terrain » au salafiste Béchir Ben Hassen. Elles seraient de Rached Ghannouchi. 



[2]  Fuite du président dictateur déchu Ben Ali vers l'Arabie saoudite.
[3]  Et notamment dans le magazine belge Le Vif.
[4]  Clara Zetkin le 8.3.1910, lors d’une conférence des femmes socialistes à Copenhague.
[5]  Docteur en philosophie de l'Université de Paris I et professeur de philosophie à la Faculté des lettres de Sfax.
[6]  La Tunisie compte 15 parcs nationaux protégés. Leur accès nécessite une demande d’autorisation auprès de la Direction générale des forêts ou du commissariat régional concerné. (Wikipedia)

dimanche 2 février 2014

Trois peintres à Kairouan (1914)

Il y a un siècle, Paul Klee (1879- 1940) avait la "révélation de la couleur" aux portes de Kairouan :




Lors de son voyage en 1914, Klee était accompagné d'August Macke (1887-1914) :




Et du peintre suisse Louis Moilliet 1880-1962 :



mardi 28 janvier 2014

Colloque à La Manouba


Université de Manouba
Faculté des Lettres, des Arts et des Humanités
Unité de recherche « Littérature médiévale, moderne et contemporaine et didactique du français »
 
Colloque «Histoire individuelle et Histoire collective dans l’œuvre littéraire »

Vendredi 7 février 2014

9h00 : Ouverture du colloque
Allocutions

Première séance : Du lexique à la Tunisie

9h15 : Farah Zaiem-Ben Nejma (Université de Manouba) : « Histoire et création lexicale ».

9h45 : Samir Marzouki (Université de Manouba) : « L’inscription de l’Histoire dans Le Pharaon d’Albert Memmi et De A jusqu’à T d’Anouar  Attia »
10h15 : Afifa Marzouki (Université de Manouba) : « La fiction dans les coulisses de l’Histoire : Voici l’homme de Rafik Ben Salah »
10h45 : Pause
Deuxième séance : Littérature médiévale et littérature de la Renaissance
11h00 : Hager Lahmar (PES et doctorante, Université de Manouba) : "L'Histoire entre conte et destinée dans les chansons de toile"

11h30 : Jouda Sellami (Université de Manouba) : « L'écriture de l'Histoire dans la Vie de Saint Louis de Joinville »
12h00 : Ahlem Ghayaza (Université de Manouba) : « L'Heptaméron de Marguerite de Navarre : les histoires individuelles au service de L'Histoire » 
12h30 : Discussion
Troisième séance : Littérature moderne et contemporaine : Poésie et chanson 
14h00 : Olfa Mzali (Université de Tunis) : « Enfance » de Jacques Prévert, ou la poésie à l’épreuve de l’Histoire ».
14h30 : Farah Ben Jemaa (Université de Tunis) : « La « réalité pressentie » de la guerre dans Dehors la nuit est gouvernée et Placard pour un chemin des écoliers de René Char »
15h00 : Sarra Khaled (Université de Carthage) : « Algérie, Algérie française !" : Histoire de l'Algérie française dans la chanson française : colonisation, décolonisation et "nostalgerie" . 15h30 : Pause
Quatrième séance : Littérature moderne et contemporaine : Roman, conte, autobiographie, journal intime, récit de voyage, fiction critique
16h15 : Moufida Aliou (PES et doctorante, Université de Manouba) : « L’historicité des Contes de Voltaire »

16h45 : Malek Khbou (Université de Gabès) : « L’écriture diariste entre l’Histoire collective et l’histoire personnelle : le cas du Cahier Vert de Maurice de Guérin"

17h15 : Sofien Chanoufi (Université de Sousse) : « L'Individu face à la guerre dans Le Sang noir, Les Batailles perdues et Le Jeu de patience de Louis Guilloux »
17h45 : Discussion
Samedi 8 février 2013

Suite de la quatrième séance : Littérature moderne et contemporaine : Roman, conte, autobiographie, journal intime, récit de voyage, fiction critique
9h00 : Saïda Arfaoui (Université de Gafsa) : "Histoire individuelle et Histoire collective dans les fictions critiques de P. Quignard, P. Michon et G. Macé"

 9h30 : Emna Menif  (doctorante, Université de Manouba): « Entre histoire individuelle et Histoire collective dans l’œuvre de Jacques Lacarrière : Un jardin pour mémoire et l’Eté grec pour exemples ».

Cinquième séance : Littérature moderne et contemporaine : Anticipation, rétroaction, imagination
10h00 : Senda Najjar (Université de Kairouan) : "L'homme et le préhistorique dans les romans de Rosny-Aîné"

10h30 : Pause
10h45 : Mohamed Anis Abrougui (Université de Gafsa) : "Napoléon et la conquête du monde de Louis-Napoléon Geoffroy-Château : quand la réécriture d'une histoire individuelle aboutit à la réécriture de l'Histoire mondiale"
11h15 : Malek Garci (Université de Monastir) : « Pierre Benoît, écrivain visionnaire dans Le Puits de Jacob (1925) »
11h45 : Emna Belhaj Yahia (Université de Jendouba) : « L'Histoire des races comme réinvention de soi: le cas d'Arthur de Gobineau ».
12h15 : Discussion et clôture

lundi 27 janvier 2014

l'après constitution, deux mots sur le vif !

Une pensée émue pour celles et ceux qui, par leur sacrifice, ont permis l'avènement de cette constitution, une pensée émue pour nos martyrs de l'armée, de la garde nationale et de la police.
Une pensée pour les enfants des martyrs, pour ceux de Chokri Belaïd et ceux de Mohamed Brahmi.
Une pensée pour les Tunisiennes et en particulier pour Maître Besma Khalfaoui et pour Madame Mabrouka Brahmi.
Une pensée pour les blessés de la révolution.
Une pensée pour tous les démocrates du monde qui nous ont soutenus.
Puisse cette constitution être un prélude vers le progrès, vers le bien-être social, vers cette société du savoir qui a toujours été notre ambition, vers la prospérité et l'amitié avec tous les peuples.

vendredi 10 janvier 2014

De la biologie à la philosophie. Parcours d’un naturaliste Georges Chapouthier



La revue L’Archicube publiée par l’association des anciens élèves et amis de l’Ecole Normale supérieure de Paris 2013, n° 15, vient de faire paraître cet entretien avec notre ami Georges Chapoutier, plus connu dans les milieux poétiques sous le nom de Georges Friedenkraft, à l'occasion de la parution de son livre "Le Chercheur et la souris".


Georges Chapouthier, naturaliste de la promotion 1964 sciences, devenu philosophe, vient de faire paraître, chez CNRS-Editions, sous le titre « Le chercheur et la souris », un livre écrit avec Françoise Tristani-Potteaux. Il a demandé à cette sociologue, spécialiste de la communication scientifique, de porter un regard neuf et distancié sur les grandes étapes de sa carrière. Il y mentionne brièvement son séjour à l’Ecole et parle ensuite des conflits intimes que rencontre un biologiste entre son métier et son amour pour les animaux. L’Archicube l’a interrogé pour en savoir davantage sur son parcours  et sur ses années d’Ecole. 


L’Archicube : Georges Chapouthier, vous êtes entré à l’Ecole en 1964 comme biologiste, « natu »,  comme on disait l’époque. On vous retrouve aujourd’hui directeur de recherche émérite au CNRS et docteur ès-lettres en philosophie. Expliquez nous ce parcours étrange.

GC : Je suis issu d’une famille littéraire très classique. Mon père, Fernand Chapouthier, était professeur de grec ancien à la Sorbonne, archéologue en Crète, où deux rues portent son nom,  et directeur adjoint de l’Ecole. Ma mère, qui avait été sont étudiante, était professeur de lettres dans le secondaire. Tout me prédestinait donc aux études littéraires et je connaissais les noms des dieux de la Grèce avant même de savoir lire. Mais plusieurs évènements m’éloignèrent de ce parcours : la mort brutale de mon père quand j’avais huit ans, une aversion profonde pour le latin (alors que j’adorais le grec) et, par-dessus tout, un amour de toujours pour les animaux. De cet amour des animaux, je passai assez vite, sous l’influence de mon milieu universitaire, à une passion pour les sciences naturelles, qui devait me conduire, après des classes préparatoires au Lycée Saint-Louis, à entrer à l’Ecole dans la section de biologie, illustrée déjà du prestige de Jean-Pierre Changeux, puis finalement au CNRS en neurobiologie, où j’ai fait toute ma carrière. Mais, quelques années après mon entrée au CNRS, mes goûts littéraires se firent sentir, et j’entamai les études littéraires les plus compatibles avec mon activité de chercheur en biologie : des études de philosophie du vivant. Je fis mes débuts sous la direction de Louis Bourgey, un spécialiste d’Aristote, et terminai plus tard ma thèse sous la direction de François Dagognet, le célèbre élève de Canguilhem.

Geoerges Chapoutier 
L’Archicube : Vous avez donc séjourné à l’Ecole durant votre petite enfance, au cours des années cinquante. Quels souvenirs en gardez-vous ?

GC : Des souvenirs un peu idéalisés, bien sûr. Un appartement gigantesque comme on n’en trouve plus guère à Paris aujourd’hui. D’innombrables jeux dans la cour aux Ernests ou dans les terrains vagues qui ont été remplacés depuis par  l’aile de la « cantine », avec ma petite soeur et en compagnie de la fille du sous-directeur de l’époque, Prigent, ou des enfants de l’infirmier, Leblond. Les bals de l’Ecole où le vieil immeuble s’habillait d’une décoration colorée et où tout s’animait jusque tard dans la nuit. Les bals étaient destinés aux jeunes adultes, mais l’intendant de l’époque (le « pôt »), Letellier, soucieux des quelques enfants du personnel, dont j’étais, nous proposait une « pêche à la ligne » consistant à attraper, à l’aide d’un bâton muni d’un crochet, des cadeaux attachés par une ficelle et étalés sur la pelouse. Une revue de fin d’année, dont le thème tournait autour d’une célèbre lingère de l’époque, « La môme blanc de blanc », et où celui qui serait, des années plus tard, le président de mon jury de thèse de philo, Bernard Bourgeois, faisait le clown en mimant Prigent, déguisé en costume breton. Un séjour avec mon père à la bibliothèque, où j’avais été émerveillé par les petits escaliers qui montaient vers les étages de livres aux planchers translucides et qui existent toujours. Enfin, plus tragiquement, la cérémonie d’enterrement de mon père dans la salle Dussane, où quatre de ses élèves se tenaient debout autour de son cercueil, comme des flambeaux vivants…


Geoerges Chapoutier enfant, avec son père
L’Archicube : Une dizaine d’années plus tard, vous revenez comme élève.  Les  choses  avaient- elles changé ?

GC : L’Ecole avait beaucoup changé, mais surtout, moi-même, j’avais beaucoup changé ! J’ai eu du mal à retrouver l’ambiance de mon enfance et les souvenirs de l’élève ont vite chassé ceux du bambin. Mon mode de vie était tout autre. J’étais maintenant un adulte indépendant de ma famille. Je logeais à l’Ecole, à deux en première année (mon cothurne était le futur biologiste de l’Institut Pasteur, François Rougeon), seul  à partir de la seconde année. Je recevais un salaire tout à fait honorable tout en étant pris en charge pour le logement et les repas. Une vie idéale. A cette époque, la Rue d'Ulm était une Ecole exclusivement masculine. Mais les rapports étaient étroits avec l'Ecole de filles, située boulevard Jourdan, et pas seulement sur le plan professionnel ! L’école était aussi le lieu de manifestations culturelles ininterrompues et d’une richesse que ne j’ai jamais retrouvée depuis : conférences de visiteurs éminents, spectacles de concerts, de cinéma ou de théâtre (un groupe théâtral remarquable, « L’aquarium », du nom du hall d’entrée de l’Ecole, était impulsé par Jacques Nichet), activités politiques ou syndicales (beaucoup d’entre nous étaient influencés par Althusser et se préparaient déjà les évènements de Mai 68)… Le bal de l’Ecole, organisé par les élèves, était aussi un évènement important. Je fus du comité d’organisation en 1965 et 1966 et participai donc aux travaux de décoration des salles de danse et à l’organisation générale. En 1965, le bal fut bénéficiaire et les organisateurs s’offrirent un repas à la « La tour d’argent » : étudiant trop studieux, je n’y participai pas, car j’avais, ce jour-là, une séance de travaux pratiques ! Comme je regrette aujourd’hui d’avoir privilégié une telle séance à cet évènement irremplaçable ! Tous les ans avait lieu un voyage d’été. En 1965, ce fut la Chine, avec qui la France venait juste de renouer sur le plan diplomatique. Un voyage inoubliable et la découverte, à vingt ans, d’une autre culture. En ce qui me concerne, et sur un plan plus privé, je fus aussi très sensible au charme des femmes asiatiques et ceci explique peut-être mon mariage, quelques années plus tard, avec une Chinoise de Malaisie, avec qui j’ai partagé le reste de ma vie !

L'Archicube: Vous êtes entré comme "naturaliste" à l'Ecole. Pouvez-vous nous parler de ce statut particulier parmi les scientifiques ? 

GC : Nous suivions les enseignements à l'Université comme tous les autres élèves. A l'époque ce qui devait devenir "Jussieu" s'appelait encore la "Halle aux vins".  Existaient seulement les deux bâtiments du quai Saint-Bernard et on voyait encore des tonneaux de vin à proximité des amphis. Les "natus" avaient ceci de particulier qu'ils vivaient davantage en groupe. Nous disposions d'ailleurs d’une petite salle dans les labos de la Rue Lhomond, où nous nous réunissions souvent. Les fenêtres de cette salle donnaient sur la maison-mère des Pères du Saint-Esprit et c'était un jeu cruel de leur passer, au milieu de la nuit, "minuit chrétien", en pleine puissance des haut-parleurs, et de voir leurs fenêtres s'éclairer les unes après les autres. Une autre activité propre aux  "natus" était le "pôt de la nature", une réception organisée tous les ans, avec l'aide des laboratoires de sciences naturelles, pour rassembler  les "natus" de toutes les promotions. C'était une réunion très conviviale et agréable, où anciens et jeunes faisaient connaissance. Il y avait aussi les promenades botaniques ou géologiques : en fin d'année, après les examens, les labos nous envoyaient plusieurs jours, en compagnie de nos "caïmans", à la découverte de la flore ou des roches d'une région. Pour moi, ce fut la région pyrénéenne. Une autre particularité des "natus" et des physiciens de l'époque, c'était  l'"anti-agrégation". Après avoir demandé l'autorisation à la direction de l'Ecole, nous obtenions, en dérogation à notre statut, la permission de ne pas passer l'agreg. C'est ainsi que, pour ma part, je partis passer mes deux dernières années d'Ecole à faire de la recherche à Strasbourg, pour préparer ce qui s'appelait à l'époque un doctorat de troisième cycle, au lieu de préparer l'agrégation de sciences naturelles. Il est vrai qu'à cette époque, on entrait relativement aisément au CNRS, ce qui permettait une telle attitude.

L'Archicube: Dans le livre « Le chercheur et la souris », vous parlez beaucoup à votre  interlocutrice Françoise Tristani-Potteaux,  des désarrois du chercheur qui n’arrive pas à concilier son goût pour la recherche en biologie et sa sympathie pour les  animaux. Ces désarrois étaient-ils déjà présents lors de vos années d’Ecole ?

GC : Oui et non. Ils n’étaient pas clairement  présents, sinon j’aurais peut-être tout de suite entamé mes études de philosophie. Mais le pressentiment était déjà là en filigrane. Nous avions récupéré, devant l’Ecole, un chat qui avait été empoisonné et l’avions conduit chez un vétérinaire. La décision collective, prise avec le vétérinaire, et pour laquelle je votai, fut finalement de le sacrifier. Après coup, je regrettai beaucoup ce vote et me demande toujours au nom de quoi j’ai condamné ce chat qui ne demandait qu’à vivre. L’ambigüité de ma position  ne  m’apparaissait cependant pas clairement et je me réfugiais dans un alibi classique : il était plus important de s’occuper des espèces et des populations animales que des individus isolés. Ainsi, écolo avant l’heure,  j’animai, au sein de l’Ecole, un « Groupe vert » de protection de la nature, qui d’ailleurs cadrait bien avec mes études de biologie. Mon ancien professeur d’histoire au lycée Louis-Le-Grand, Roger Joxe, qui dirigeait alors le Bulletin de la Société des Amis de l'Ecole Normale Supérieure (c’est-à-dire l’ancêtre de L’Archicube !), me permit même de présenter ce groupe dans ses colonnes et ce fut une de mes premières publications, modeste certes, mais dont  je fus, à l’époque, très fier ! Quant au conflit central de ma vie, qui est le thème du livre, entre les impératifs de la recherche scientifique et l’amour des animaux, il ne devait se révéler que plus tard, quand j’eus l’occasion de pratiquer concrètement la recherche scientifique. D’ailleurs le dialogue avec ma co-auteure m’a permis de mieux mettre en relief ces profondes ambigüités existentielles : le fait de travailler à deux m'a fait mieux comprendre les ressorts de certains épisodes de ma vie.


L'Archicube: Quelles ont été les conséquences de votre passage par l’Ecole sur votre vie ultérieure ?

GC : Elles sont importantes et innombrables.  Ce passage a conditionné toute ma carrière au CNRS, donc toute ma vie scientifique de neurobiologiste. D’une certaine manière aussi, parce que l’Ecole est à la fois littéraire et scientifique, par les contacts avec mes camarades philosophes comme Claude Debru, j’ai développé un intérêt pour la philosophie, qui a été mon second métier. Et puis le grand intérêt d’une Ecole est nouer des relations dans son  domaine professionnel : de nombreux camarades de cette époque ont accompagné mon parcours et ont même collaboré ultérieurement à des travaux scientifiques avec moi : Michel Hamon,  André Langaney, Jean-Marc Jallon, Patrick Blandin, Antoine Danchin...  et je ne peux tous les citer.

L'Archicube: Finalement quel est votre meilleur souvenir de l’Ecole ?

GC : A cette époque, c’était l’habitude de se promener sur les toits. Je crois que cette activité, d’ailleurs très dangereuse, n’est plus possible aujourd’hui. Mais je dois dire que le passage à proximité des frondaisons des acacias en fleurs au printemps reste, sur le plan olfactif et hédonique, un de mes meilleurs souvenirs.


jeudi 2 janvier 2014

Tarek Al Karmy Poète palestinien, traduction du poète Tahar Bekri

Tarek AL KARMY  ( Palestine)


Poème rimé de l’esseulé de l’année

Murmure restera Dieu sur la lèvre d’un enfant et
Dans les yeux de l’aveugle il y a un tonnerre qui se boit une lumière qui tombe…
Comme ce monde est étroit comme la fourmilière est vaste
Je marcherai contre les arbres jusqu’à notre origine dans les cieux
Cette nuit je dirai à ma femme : ôte-toi je resterai mon orphelin

Qui a poignardé le taureau volant (mon dieu) tenant une lance fatale afin de planter ses cornes dans ma chair et sur mon cœur il a circoncis un baiser de sabot
Qui a mûri mon cœur afin de le cueillir de la branche du tonnerre et qui a nommé la pomme dans l’assiette tranquille peur
Cette nuit j’entre comme les enfants de Dieu dans la nouvelle année
Ma peau sont mes haillons et
Ma bouche une blessure nucléaire et
Mon chant hémorragie
Cette nuit il y aura celui qui retiendra les souffles comme une tempête
Il y a celui qui jette la vie pour la plier comme un livre de poussière sur
L’étagère



© Traduction Tahar Bekri

mercredi 1 janvier 2014

La liberté de la presse au péril de la vie.

Jamais la presse n’a été aussi libre et les journalistes aussi enchaînés. Ce paradoxe vient de ce que, en ces temps tumultueux, la chose et sa négation coexistent. Libres, les journalistes tunisiens le sont. La sphère de l’interdit a rétréci comme une peau de chagrin. Les tabous politiques sont tombés. Sur chaque plateau de TV dans ces talk-shows, qui font le succès des chaînes de TV et même des chaînes de radio comme Mosaïque FM, les politiques sont fustigés tant la critique est implacable. Il semble même qu’il n’y ait aucune limite politique. Quand il est question de religion ou de mœurs, il vaut mieux être prudent....
La suite de mon texte, sur babelmed  : 
http://www.babelmed.net/cultura-e-societa/113-tunisia/13489-la-liberte-de-la-presse-au-peril-de-la-vie.html