vendredi 17 septembre 2010

Sélection du prix Fémina

رواية المهدي أشرشور الكاتب الجزائري والمعنونة الدوري وردت البارحة في قائمة الروايات المرشحة لجائزة من أكبر الجوائز بباريس جائزة فيمينا

Sélection du prix Fémina

Première sélection du Prix Femina. Le jury du prix Fémina qui sera décerné le 2 novembre, vient de publier sa première sélection. On y remarquera surtout le Moineau de El-Mahdi Acherchour publié aux éditions Aden. El-Mahdi Acherchour a déjà publié un roman remaquable Pays d'aucun mal chez le même éditeur.

Nous y reviendrons

Romans français:

- El-Mahdi Acherchour pour "Moineau" (Editions Aden)

- Claude Arnaud pour "Qu’as-tu fait de tes frères ?" (Grasset)

- Virginie Despentes pour "Apocalypse Bébé" (Grasset)

- Philippe Forest pour "Le siècle des nuages" (Gallimard)

- Mikaël Hirsch pour "Le réprouvé" (L’Editeur)

- Michel Houellebecq pour "La Carte et le territoire" (Flammarion)

- Fabienne Jacob pour "Corps" (Buchet Chastel)

- Maylis de Kerangal pour "Naissance d’un pont" (Verticales)

- Patrick Lapeyre pour "La vie est brève et le désir sans fin" (POL)

- Olivia Rosenthal pour "Que font les rennes après Noël ?" (Verticales)

- Violaine Schwartz pour "La tête en arrière" (POL)

- Antoine Volodine pour "Ecrivains" (Seuil)

Romans étrangers:

- Alberto Barrera Tyszka pour "La maladie" (Gallimard) -

Venezuela- Bernardo Cavalho pour "Ta mère" (Metaillé)

- Brésil- Shirley Hazzard pour "La baie de midi" (Gallimard)

- Australie- Michel Heyns pour "Jours d’enfance" (Philippe Rey)

- Afrique du Sud- Henrik B. Nilsson pour "Le faux ami" (Grasset)

- Suède- Audur Ava Olafsdottir pour "Rosa candida" (Zulma)

- Islande- Edna O’Brien pour "Crépuscule irlandais" (Sabine Wespieser)

- Irlande- Sofi Oksanen pour "Purge" (Stock)

- Finlande- Kate O’Riordan pour "Un autre amour" (Joëlle Losfeld)

- Irlande- Hwang Sok

-Yong Shim Chong pour "Fille vendue" (Zulma)

- Corée- Amanda Smyth pour "Black Rock" (Phébus)

- Etats-Unis- Gonçalo M. Tavares pour "Apprendre à prier à l’ère de la technique" (Viviane Hamy)

- Portugal- Maria Velho da Costa pour "Myra" (La Différence) - Portugal

dimanche 12 septembre 2010

تمبكتو-أحمد بابا Tombouctou- Ahmed Baba

خارطة مملكة مالي وبها ملكها الشهير مانسا موسىCarte du royaume de Mali avec un portrait du célèbre roi Mansa Moussa.
إلى إسماعيل ديادي حيدرة مؤرخ

قال أحمد بابا :إذا كان الملح يأتي من الشمال و الذهب من الجنوب و المال من بلاد السكان البيض فان كلام الله و الأشياء المقدسة و الحكايات الجميلة لا توجد إلا في تمبكتو
1627-1556 أحمد بابا –-
مؤرخ و فلكي و فقيه مالي نفاه سلطان المغرب المنصور إلى مراكش لمناوئته لتدخل السلطان في تمبكتو ولكنه سرعان ما أفرج عنه تقديرا لسعة علمه و كان يقال أنه أعلم بني عصره. لا زالت تمبكتو تحتفظ بمؤلفاته إلى اليوم في مركز ثقافي عصري يحمل اسمه. مما طبع له كتاب "نيل الابتهاج بتطريز الديباج" و قد نشرته بطرابلس كلية الدعوة الإسلامية.

Pour Ismael Diadi Haidara Historien

« Si le sel vient du Nord, l’or du Sud et l’argent des pays où vivent les Blancs, la parole de Dieu, les choses sacrées et les beaux contes ne se trouvent qu’à Tombouctou »
Ahmed Baba 1556-1627
Historien, astronome et juriste. Il a été exilé à Marrakech par le sultan marocain Al Mansour parce qu’il s’était farouchement opposé à sa campagne contre le Mali. Mais eu égard à sa science, il n’a été qu’assigné à résidence puis libéré. Il est auteur de nombreux travaux pieusement conservés au centre culturel de Tombouctou qui porte son nom. Un de ses principaux ouvrages a été publié à Tripoli.

mercredi 8 septembre 2010

Sur un vers de Darwich

OEuvre de Gerrit Van Honthorst


التفاحة : عض الشكل بلا عقوبة المعرفة.
. الأجاصة : نهد مثالي التكوين لا يزيد عن راحة اليد ولا ينقص
العنب : نداء السكر أن اعتصرني في فمك أو في الجرار
.التين : انفراج الشفتين بإصبعين لتلقي المعني الآيروسي دفعة واحدة
.التين الشوكي: دفاع العذراء عن كنزها.الكرز: اختصار المسافة بين شهوة العينين وصورة الشفتين.
السفرجل: مشاكسة الأنثى للذكر تترك غصّة في حلق الخائب
الرمان : اختباء الياقوت في التورية

محمود درويش




Poème de Mahmoud Darwich-

-Les pommes : mordre la forme sans le châtiment de la connaissance.
-Les poires : un sein d’une configuration idéale, ni plus petit ni plus grand que la paume d’une main.
-Les raisins : le sucre vous appelant à le presser soit dans votre bouche soit dans les amphores
.-Les figues : les lèvres qu’entrouvrent deux doigts pour recevoir en une seule fois le sens érotique.
-Les figues de barbarie : la vierge défendant son trésor.
-Les cerises : la distance écourtée entre le désir des yeux et l’image des lèvres.
-Les coings : les taquineries d’une femme faisant que l’homme éconduit a la gorge nouée.
-Les grenades : la dissimulation du rubis dans la syllepse.

Dans ce poème s’ouvrant sur des allusions à la genèse conçue ici comme le commencement de la séduction et de l’amour et privilégiant les sens, le dernier vers constitue rhétoriquement une chute. C’est une pointe comme celle qui doit clore le sonnet. Or ici, la chute condense tout (le poème). Elle signifie que les sens valent surtout comme mode de connaissance. La chute est en fait l’acmé du poème, son paroxysme, l’instant où le poème est réflexion sur la poésie.
Notons que le poème est œcuménique. Il pense à la Genèse mais aussi au Coran ou il y fait penser. Il se termine sur une évocation de la grenade, fruit cité dans le Coran. Mais dans le texte il est un autre fruit « cité » dans le Coran « Tine » (figue). Or pour ce dernier fruit, contrairement à l’interprétation communément admise, il ne s’agit pas de fruits (Chouraqui, qui n’est pas à une faute près, n’est pas le seul à traduire ainsi) mais bien d’endroits, de lieux-dits.
Le vers définit la grenade par son faire : elle cache, elle dissimule (« dissimulation » devant être entendu au sens actif de « se dissimuler » et non pas au sens passif d’ « être dissimulé ») ce qui se cache c’est le rubis choisi ici pour sa couleur afin de signifier les grains. Donc, c’est une métonymie au second degré ;
Puisque rubis signifie d’abord couleur du rubis (par ellipse, « couleur de » a été supprimé)
Et par analogie (rapprochement de type métaphorique ) la couleur désigne les grains du fruit.
« Syllepse » : le mot est mis pour désigner l’écorce du fruit, cela qui dissimule, l’apparence. Car tel est le faire de la syllepse arabe. La syllepse arabe est un cas où un terme convoque deux sens dont l’un est écarté, dissimulé et l’autre retenu. Or dans la rhétorique occidentale, la syllepse est cette figure qui convoque simultanément deux sens. Nous traduisons donc « tawria » par « syllepse » faute de mieux. Nous avons pensé à « antanaclase » mais c’est tout autre chose. L’antanaclase répète le mot dans deux sens différents où à chaque fois l’autre sens est exclu. J’aurais tout de même choisi « antanaclase » si ce mot n’avait pas un correspondant exact dans la rhétorique arabe « tardid ».
Le dernier vers, métaphore du fruit, est une définition de la syllepse, c’est-à-dire métonymiquement du poème. Tout poème est une grenade, tout texte est une grenade. Le sens est le rubis. Le sens se mérite : il faut auparavant décortiquer, y accéder avant de savourer de tous ses sens.

lundi 30 août 2010

العودة إلي سنار Retour à Sinnar

ملك سنار 1821 roi de Sinnar
العودة إلي سنار
للشاعر محمد عبد الحي
شاعر سوداني توفي فى اوت 1989
النشيد الأول

البحــــر

بالأمس مرَّ أوّل الطّيور فوقنا ، ودار دورتين قبل أن

يغيبَ ، كانت كلُّ مرآة على المياه فردوساً

من الفسفورِ – يا حدائق الفسفور والمرايا

أيّتها الشمس التى توهّجتْ واهترَأت

فى جسد الغياب ، ذ وبى مرّة أخيرةً ،

وانطفئى ، أمسِ رأينا أوّل الهدايا

ضفائر الأشنةِ والليفِ على الأجاجِ

من بقايا

الشجر الميت والحياة فى ابتدائها الصامتِ

بين علق البحارْ

فى العالمِ الأجوفِ

حيثَ حشراتُ البحرِ فى مَرَحِها الأعْمَى

تدب فى كهوفِ الليفِ والطحلبِ

لا تعى

انزلاقَ

الليلِ

والنهارْ

وحمل الهواءْ

رائحةَ الأرضِ

، ولوناً غير لون هذه الهاوية الخضراءْ

وحشرجات اللغة المالحة الأصداءْ.

وفى الظَّلامْ

فى فجوةِ الصَّمت التى تغور فى

مركز فجوةِ الكلامْ

، كانت مصابيح القرى

على التِّلال السودِ والأشجارْ

تطفو وتدنو مرَّةَّ

ومرَّةَّ تنأى تغوصُ

فى الضَّباب والبُخَارْ

تسقطُ مثل الثّمر النّاضجِ

فى الصَّمتِ الكثيفِ

بين حدِّ الحلم الموحشِ

وابتداء الانتظارْ


A 18 ans, Mohamed Abdelhay (1944-1989) écrit « Le Retour à Sennar », poème fleuve publié dans la revue « Shi’r ». Le texte a eu un accueil des plus favorables surtout au Soudan où il est perçu comme un manifeste sur l’identité soudanaise, son épopée. En voici le début.
Le retour à Sennar Mohamed Abdelhay
Chant premier
La mer
Hier, le premier oiseau est passé au-dessus de nos têtes, il a virevolté deux fois avant de
Disparaître, chaque miroir sur l’eau était un paradis
De phosphore- Oh jardins de phosphore et de miroirs
Oh soleil qui flamboie et s’érode
Dans le corps de l’absence, fonds encore une dernière fois
Et éteins-toi, hier nous avons vu le premier présent
Des tresses de lichens et d’éponges sur le saumâtre
Restant
Des arbres morts et de la vie dans ses commencements silencieux
Parmi les planctons
Dans le monde creux
Où dans leur gaieté aveugle les insectes de la mer
Rampent dans les cavernes des éponges et des algues
Sans avoir conscience
Du glissement
De la nuit
Du jour
Du fardeau de l’air
De l’odeur de la terre
Ni d’une couleur autre que celle de l’abîme vert
Ni du râle d’une langue aux échos de sel
Et dans l’obscurité
Dans les interstices du silence qui plonge au
Cœur des interstices de la parole
Les lampes des villages
Sur les collines noires et sur les arbres
Tantôt surnagent, approchent
Et tantôt s’éloignent, plongent
Dans le brouillard et dans l’embrun
Et tombent comme un fruit blet
Dans le silence épais
A la limite du sinistre rêve
Et le commencement de l’attente .

mercredi 25 août 2010

مختارات من خطاب للوركا Extraits d'un discours de Lorca

Couarraze : colonne du savoir
عندما يذهب المرء إلى المسرح أو إلى حفل موسيقي أو غيره فيروق له العرض يخطر بباله أقاربه الغائبون فيأسف لذلك فيقول في نفسه ":كم كان سيعجب أبي أو أختي". فلا يتمتع إذ ذاك بالعرض إلا وبه شيء من الكآبة. وأنا أشعر بتلك الكآبة ذاتها ليس بسبب عائلتي –فيكون ذاك شأنا و ضيعا – ولكن بسبب كل الناس الذين لقلة ذات اليد ولما يكابدون من هموم لا يستفيدون من الجمال أسمى الفضائل. و الجمال حياة و ِحلم و سكينة و وجد.
لذلك لم أملك يوما كتبا. لا أكاد أشتري واحدا منها حتى أهديه. أعطيت منها بغير حساب و لذلك أنا معتز بوجودي هنا و سعيد بتدشين مكتبة الشعب هذه وهي و لا ريب الأولى في مقاطعة غرناطة كلها.
لا يحيا المرء بالخبز وحده. لو كنت جائعا ووجدتني معدما على الطريق لما سألت الناس رغيفا بل نصف رغيف و كتاب. ومن هذا المكان حيث نحن أود أن أداهم بشدة أولئك الذين لا يعرفون غير المطالب الاقتصادية متعللين بأنها ما تطلب الشعوب بأعلى صوتها.
أن يطعم الناس أجمعين فذاك شأن حسن و لكن ينبغي أن يحصل الناس أجمعين على المعرفة و أن يستفيدوا من ثمرات الفكر الإنساني جميعها لأن عكس ذلك يعني إن يتحولوا إلى آلات في خدمة الدولة أو أن يتحولوا إلى عبيد لتركيبة رهيبة للمجتمع.
أشفق على امرئ أراد الحصول على المعرفة فلم يستطع أكثر من إشفاقي على جائع لأنه من السهل أن يسكن الجائع من جوعه بقطعة خبز أو بعض الثمر. أما المتعطش للمعرفة دون إمكانيات فيذوق الأمرين لأنه يحتاج إلى الكتب إلى مزيد الكتب و المزيد ولكن هيهات فأين الكتب ؟
الكتب’ الكتب , كلمة سحرية تساوي أن يصدح المرء "الحب , الحب" . يجدر أن تطالب بها الشعوب كما تطلب الخبز أو الغيث لبذرها. عندما كان الكاتب الروسي الشهير فيدور دوستويفسكي – وهو أجدر من لينين بأن يكون أب الثورة الروسية – حبيسا في سيبيريا منقطعا عن الدنيا ببن أربعة جدران تحيط به سهول جرداء تكسوها الثلوج .كان يستغيث في رسائله إلى أهله البعيدين مكتفيا بالقول : " أرسلوا لي كتبا ومزيدا و مزيدا من الكتب حتى لا تفنى روحي". كان مقرورا ولم يطلب نارا وكان قد اشتد به عطش ولم يطلب ماءا. طلب كتبا أي آفاقا أي سلما للتسلق نحو قمة الفكر و النفس. لأن احتضار الجسم فيزيائيا و بيولوجيا و طبيعيا بسبب الجوع و العطش و البرد يدوم قليلا قليلا جدا فيما يستغرق احتضار النفس المحرومة أجلا.
و قد سبق لمننديز بيدال- أحد حكماء أوروبا الحقيقيين- أن عبر عن ذلك :" يجب أن يكون شعار الجمهورية الثقافة" فلا يمكن حل المشاكل التي يواجهها شعب شديد الإيمان و محروم من النور بغير سبيل الثقافة ولا تنسوا أن النور أصل كل شيء.
فيديريكو غارسيا لوركا ترجمة جلال الغربي
FEDERICO GARCIA LORCA

Quand quelqu'un va au théâtre, à un concert ou à une fête quelle qu'elle soit, si le spectacle lui plaît il évoque tout de suite ses proches absents et s'en désole: "Comme cela plairait à ma sœur, à mon père !" pensera-t-il et il ne profitera dès lors du spectacle qu'avec une légère mélancolie. C'est cette mélancolie que je ressens, non pour les membres de ma famille, ce qui serait mesquin, mais pour tous les êtres qui, par manque de moyens et à cause de leur propre malheur ne profitent pas du suprême bien qu'est la beauté, la beauté qui est vie, bonté, sérénité et passion.
C'est pour cela que je n'ai jamais de livres. A peine en ai-je acheté un, que je l'offre. j'en ai donné une infinité. Et c'est pour cela que c'est un honneur pour moi d'être ici, heureux d'inaugurer cette bibliothèque du peuple, la première sûrement de toute la province de Grenade.
L'homme ne vit pas que de pain. Moi si j'avais faim et me trouvais démuni dans la rue, je ne demanderais pas un pain mais un demi-pain et un livre. Et depuis ce lieu où nous sommes, j'attaque violemment ceux qui ne parlent que revendications économiques sans jamais parler de revendications culturelles : ce sont celles-ci que les peuples réclament à grands cris. Que tous les hommes mangent est une bonne chose, mais il faut que tous les hommes accèdent au savoir, qu'ils profitent de tous les fruits de l'esprit humain car le contraire reviendrait à les transformer en machines au service de l'état, à les transformer en esclaves d'une terrible organisation de la société. J'ai beaucoup plus de peine pour un homme qui veut accéder au savoir et ne le peut pas que pour un homme qui a faim. Parce qu'un homme qui a faim peut calmer facilement sa faim avec un morceau de pain ou des fruits. Mais un homme qui a soif d'apprendre et n'en a pas les moyens souffre d'une terrible agonie parce que c'est de livres, de livres, de beaucoup de livres dont il a besoin, et où sont ces livres? Des livres ! Des livres ! Voilà un mot magique qui équivaut à clamer: "Amour, amour", et que devraient demander les peuples tout comme ils demandent du pain ou désirent la pluie pour leur semis. - Quand le célèbre écrivain russe Fédor Dostoïevski - père de la révolution russe bien davantage que Lénine - était prisonnier en Sibérie, retranché du monde, entre quatre murs, cerné par les plaines désolées, enneigées, il demandait secours par courrier à sa famille éloignée, ne disant que : " Envoyez-moi des livres, des livres, beaucoup de livres pour que mon âme ne meure pas! ". Il avait froid ; ne demandait pas le feu, il avait une terrible soif, ne demandait pas d'eau, il demandait des livres, c'est-à-dire des horizons, c'est-à-dire des marches pour gravir la cime de l'esprit et du cœur. Parce que l'agonie physique, - biologique, naturelle d'un corps, à cause de la faim, de la soif ou du froid, dure peu, très peu, mais l'agonie de l'âme insatisfaite dure toute la vie.
Le grand Menéndez Pidal - l'un des véritables plus grands sages d'Europe - , l'a déjà dit: "La devise de la République doit être la culture". La culture, parce que ce n'est qu'à travers elle que peuvent se résoudre les problèmes auxquels se confronte aujourd'hui le peuple plein de foi mais privé de lumière. N'oubliez pas que l'origine de tout est la lumière.".FEDERICO GARCIA LORCA 'http://emmila.canalblog.com/

lundi 23 août 2010

Un poète du Yémen عبد العزيز المقالح


فرمير : الرسالة الغراميةVermeer : la lettre d'amour



بطاقة إليها
أنـا من بلاد القات مأساتي تضج بها الحقب
أنا مـــن هناك قصيدة تبكي وحرف مغترب
غادرت سجن الأمس ملتحفا براكين الغضب
أثـــر القيود على يدي ساقي تنوء من التعب
لا عطـــر لا بترول أحمله وليس معي ذهب
ما زلت أغسل في مياه البحر أشرب في القرب
قدماي حافيتان عاري الرأس موصول السغب
وسفينة الصحراء طائرتي وقصري من خشب
إن دندن الموال في الأغوار يقتلني الطرب
ويشدني نآي الحقول أذوب إن ناح القصب
لكنني في الحب موصول العراقة والنسب
"مجنون ليلى" في دمي و "جميل" مجنون اللهب
أنا والهوى جئنا شببت بظله حُلما وشب
هل تقبليني بعد؟ هل ترضين بي شمس العرب؟
أنا فيك مجنون تحير سير عمري واضطرب
لما تلاقى المعجبون أمام موكبك العجب
قالوا ومات اللفظ مشنوقا على شفتى اللهب
هزتك ثرثرة الشفاه وخاب صمتي وانتحب
وذهبت تقتاتين ، تغتسلين في موج الصخب
والصمت لو تدرين ..أبلغ من ملايين الخطب
القاهرة ديسمبر1963

عبد العزيز المقالح بقلمه

إذا صح أنني شاعر فقد أصبحت كذلك بفضل الحزن ، هذا النهر الشاحب الأصفر الذي رأيته واغتسلت في مياهه الراكدة منذ طفولتي رأيته في عيني أمي وفي عيون أخوتي ثم قرأته على وجوه زملائي في المدرسة والشارع والسجن وأقرؤه كل يوم وليلة في عيون ووجوه أطفالي العصافير الأربعة الذين شهدوا من قبح العالم أكثر مما تحمل أعمارهم الصغيرة .وفي وجه هذا الحزن وفي طريقه الكابي اللون حاولت أن أتمرد ، أن أثور ، ولكن بلا جدوى كانت المحاولة الأولى عندما قررت أن أدفنه - أي الحزن - في الحب فكتبت إلى الفتاة التي أحببتها بكل قلبي ومشاعري وأروع ما كتبت من الشعر . وبعد أيام عادت قصائد الحب دون أن تمس لماذا ؟ لأن العينين الجميلتين لفتاتي كانتا غير قادرتين على قراءة قلبي لأنها ككل الفتيات في اليمن لا تقرأ .ومرة ثانية حاولت أن أنسى الحب بالثورة فكتبت بعض القصائد الثائرة فهالني وفجعني أن أرى الأصدقاء يهربون من حولي حتى أقرب الناس إلى نفسي وجدتهم يشهرون خناجرهم الحادة في وجهي ورأيتهم يعدون قبرا لدفني في الغربة ، لماذا لأن الثورة التي أناديها من بعيد سوف تمر - حين تمر - فوق رؤوسهم لذلك فقد حاولوا أن يتغدوا بي قبل أن تتعشى بهم الثورة .أخيرا حاولت أن أهجر الكلام ، رحلت إلى الصمت . فماذا حدث ؟تقرح جسدي أكلت ثعابين الصمت لساني وكادت العين تكف عن الإبصار فرجعت إلى الكلام .. إلى الشعر ولكنه هذه المرة ليس عن الحب ولا عن الثورة إنه عن الحزن ، عن الحزن نفسه الذي كان ملهمي ومعلمي رغم أنفي


من مقدمة دبوان سيف بن ذي يزن


Abdel Aziz al-Maqalih
Un billet pour elle
Je suis du pays du qat et l’éternité ne peut contenir mon drame
Je suis de ce pays, poème en larmes et lettre exilée
J’ai quitté la prison de la veille, drapé dans des volcans de colère
Les stigmates des chaînes sur mes mains croulent de fatigue
Je n’ai ni parfum ni pétrole et je n’ai pas d’or
Je me lave encore à l’eau de mer et bois dans des outres
J’ai les pieds nus, j’ai la tête découverte et je suis toujours épuisé de faim
La barque du désert me tient lieu d’avion et mon palais est en bois
Lorsque retentit le mawal dans la vallée l’extase me prend
Et lorsque le nay des champs m’interpelle je fonds à sa complainte
Mais en amour, je prolonge une longue extraction, une grande fratrie
Sont dans mes veines Le Medjnoun et Jamil le fou des flammes
L’amour et moi sommes venus. J’ai grandi en rêvant à son ombre et il a poussé
M’accepterais-tu encore ? M’accepterais-tu Soleil d’Arabie
Je suis fou de toi. Le cours de ma vie en est égaré et troublé
Lorsque les prétendants se sont rencontrés devant la merveille de ton cortège
Ils ont parlé mais les mots sont morts pendus aux lèvres des flammes
Tu t’es laissé emporter par la verve des lèvres et mon silence déçu se lamenta
Tu es partie te nourrir et te baigner dans le flot du vacarme
Or, si tu savais, le silence est plus éloquent que mille discours
Le Caire, 1963.
Al-Maqalih (né en 1937) par lui-même :

S’il est vrai que je suis poète, je le suis devenu grâce à la tristesse, ce pâle fleuve jaune que j’ai vu et dans les eaux stagnantes duquel je me suis baigné depuis mon enfance. Je l’ai vu dans les yeux de ma mère et dans ceux de mes frères, puis je l’ai lu sur les visages de mes camarades de classe, dans la rue, en prison et je le lis chaque jour, chaque nuit dans les yeux et dans les visages de mes quatre enfants, oisillons qui ont été témoins des laideurs du monde plus que ne devrait supporter leur jeune âge. J’ai essayé de me rebeller, de me révolter face à cette tristesse et à ses voies aux couleurs pulvérulentes, mais en vain. La première tentative fut lorsque, décidant d’enterrer ma tristesse dans l’amour, j’ai écrit à la fille que j’aimais de tout de mon cœur, de tout mon être les poèmes les plus admirables que j’aie jamais écrits. Quelques jours après, ils m’ont été retournés sans même avoir été touchés. Vous me demandez pourquoi ? Parce que les beaux yeux de mon amour ne pouvaient pas lire mon cœur : comme toutes les filles du Yémen, elle ne savait pas lire.
Une autre fois j’ai essayé d’oublier l’amour grâce à la révolution. J’ai alors écrit quelques poèmes révoltés. J’ai été horrifié et rebuté de voir que les amis me fuyaient. J’ai vu même les gens les plus proches de mon cœur brandir leurs poignards tranchants à mon visage et préparer pour moi une tombe dans l’exil. Pourquoi ? Parce que le jour venu, la révolution leur aurait passé sur le corps. Ils ont donc essayé d’en finir avec moi avant que la révolution ne fasse d’eux qu’une bouchée.
J’ai enfin essayé de renoncer à la parole, de partir vers le silence. Qu’est-il advenu alors ? Mon corps s’est ulcéré, les serpents du silence ont avalé ma langue et j’ai failli perdre la vue. Je suis alors revenu à la parole, à la poésie mais cette fois-ci non pas pour l’amour ni pour la révolution mais pour la tristesse, cette tristesse qui m’aura inspiré et qui aura été, malgré moi, mon maître.





samedi 21 août 2010

Fadwa Al Qasem فدوى القاسم


كل أربعين
منذ غادرتني
أرسم صورتك
برائحة زهرة البرتقال
بموسيقى موجة تداعب بقايا الأصداف

فدوى القاسم
كاتبة فلسطينية

دبي 2010


Depuis que tu m’as quittée,
Tous les quarante jours,
Je fais ton portrait
A l’odeur de fleur d’oranger
A la musique d’une vague caressant les restes des coquillages.
Fadwa Al Qasem (Palestine) Dubaï 2010

jeudi 19 août 2010

voir ce qu'on ne doit pas voir : extrait d'un roman soudanais هشام آدم

Rémy Cogghe : Madame reçoit 1908.
Dans ma note du 14 août 2010, je présentais un extrait du roman de Sonallah Ibrahim où l'on voit un enfant surprendre son père avec la compagne d’un jour. J’ai cru voir dans cette scène plus que du voyeurisme de la part du personnage mais plutôt comme un désir de voir la scène originelle, celle de sa conception.
C’est une tentative de pallier l’impossibilité où nous sommes tenus de ne rien voir de ce qui nous concerne le plus : notre naissance (ainsi que notre mort)
Dans l’extrait qui suit, l’excellent romancier soudanais Hisham Adam (dans mes liens, en arabe) donne à lire cette scène où son héroïne, une jeune américaine, surprend sa mère en train de se faire tâter par son amant le jour même des funérailles de son mari.
Peut-on parler de voyeurisme appelé à flatter le voyeurisme du lecteur ou alors de cela que Freud appela « scopophilie » propension à l’image, en l’occurrence celle de la naissance, toujours vouée à l’échec et pervertie par l’impossibilité de se voir avant d’être ? Mais surtout où se situe la frontière entre voyeurisme et scopophilie ?

Je me souviens qu’enfant je le craignais beaucoup. Mon père avait beau ne pas le supporter, ne pas supporter même qu’on prononçât son nom, ma mère continuait à conserver dans son album des photos prises avec lui. C’était des photos où ils étaient ensemble à Hawaï, à Miami ou avec des amis communs à Haïti.
On voyait à ces photos qu’ils avaient le même tempérament. Jusqu’à maintenant je ne sais quel secret a fait que ma mère ait choisi mon père malgré la compatibilité de son humeur avec celle de Martin Dexter. Il semble que ce dernier ne fût point du genre affectionnant engagement, mariage et responsabilités familiales. Aussi dut-elle cumuler l’engagement d’un mari et la vitalité d’un amant.
Ma mère et Martin se tenaient en retrait des gens venus présenter leurs condoléances, ce qui permit à ce vicieux de se faufiler et de tendre la main pour lui tâter le derrière. J’en fus choquée et je pensai que ma mère l’esquiverait avec tact (naguère elle aimait ce genre d’attouchements) mais elle n’en fit rien. Cela suscita mon indignation et ma colère contre tous les deux. Ils ne virent pas que je les observais à travers la vitre de la voiture garée à l’ombre car je n’avais pas encore mis pied à terre.
Ce qui s’était produit avait suscité ma colère contre ma mère qui continuait dans ses folies encore à son âge comme une prostituée chevronnée. J’eus très honte de les voir chuchoter d’un chuchotement qui pour moi, ne suggérait pas l’innocence même dans une circonstance aussi solennelle. C’est comme s’ils s’étaient donné rendez-vous à ces funérailles. Je me demande comment il se fait que ma mère ait encore une telle vitalité sexuelle à son âge.
(Pétrophobie. En arabe.)



أذكر أنني كنت أخشاه كثيراً عندما كنتُ صغيرة، ورغم أنّ والدي لا يطيقه، ولا يطيق أن
يُذكر اسمه أمامه؛ إلاّ أن أمي كانت ما تزال تحتفظ ببعض الصورة الخاصة لهما في ألبوم صورها.
صور تجمعهما في هاواي، وأخرى في ميامي، وصور تجمعهما ببعض الأصدقاء المشتركين في هاييتي. ويبدو من هذه الصور أن مزاجهما كان مشتركاً، وإلى الآن لا أعلم سر اختيار أمي لأبي رغم التوافق المزاجي الكبير بينها وبين مارتن ديكستر. يبدو أن هذا الأخير لم يكن من النوع الذي يهوى الارتباط والزواج والتقيّد بالمسؤوليات؛ لذا كان لزاماً عليها أن تجمع بين زوج ملتزم، وعشيق حيوي.

كانت أمي ومارتن يقفان إلى الوراء قليلاً من المعزّين، ما سمح لهذا الخبيث أن يتلصص ويمد يده ليلمس أردافها. لقد شعرت بصدمة كبيرة، وخمّنت أن أمي قد تُفلت من حركته تلك بلباقة (لطالما كانت تغريها مثل هذه الحركات قديماً)، ولكنها لم تفعل. الأمر الذي أثار استهجاني وحنقي عليهما معاً. لم ينتبه أحد منهما أني كنت أراقب ما يجري من خلال نافذة السيارة المظللة؛ إذ لم أكن قد ترجّلت منها أصلاً.

ما جرى جعلني أشعر بسخط حقيقي على أمي التي ما زالت تمارس هفواتها المجنونة؛ حتى وهي في مثل هذا السن كبائعة هوى متمرّسة. لقد شعرتُ بخجل شديد وأنا أراهما يتهامسان، همساً لم يوح لي بالبراءة قط، حتى وهما في مثل هذا الموقف المبجّل، وكأنهما تواعدا على أن يلتقيا في المأتم. أنا أتساءل: كيف يتأتي أن أمي ما تزال تتمتع بهذه الحيوية الجنسية في مثل هذا العمر؟
بتروفوبيا الدار العربية للعلوم ناشرون ومنشورات الاختلاف 2009 - ص 82 -83

mardi 17 août 2010

Après le bain فدوى القاسم


Edgar Degas : Après le bain...

Voici un récit poétique de l'écrivain palestinienne Fadwa Al Qasem (elle est dans mes liens)


: تتوقد يومياً في ذهني هذه العبارة


أُشعلت الأنوار،
انتهت الموسيقى،
وخرج آخر المتفرجين
.

أجلس على حافة البانيو.
البانيو بارد.
أحدق في ساقي.
في الزغب الأشقر الطويل.
في الشعر الأسود القصير.
أفكر في الاعتزال، فقد فقدت رغبتي الملحة في إزالته.

لم يعد يستحق ألم الحلاوة.
ولم يعد يستحق جروح الشفرة.
ولم يعد يستحق هدر لحظاتي في انتظار نتائج كريم التشقير.

لم يحدث ذلك فجأة.
كانت البداية تجاهل الزغب على الفخذين، ثم على الذراعين، ثم الإبطين، ثم العانة، حتى وصلت اليوم إلى الساقين.

أخفيت الشعر في البداية تحت الأكمام والتنانير الطويلة نهاراً، وفي طيات الظلام ليلاً.
ثم لم يعد يستحق مجهود إخفائها.

فأنا أعرف أنها لا تزعجه.. لأنه لا يلمس ساقي. لا ينظر إليهما عندما أضع ساقاً على ساق. لا ينظر إلى فخذي، ذراعي، إبطيّ.. لا ينظر إلي.

وفيما أنا جالسة على حافة البانيو،
أحدق في ساقي، في الزغب الأشقر الطويل، والشعر الأسود القصير، وأفكر في الاعتزال، يناديني بانزعاج من بعيد: ألم تجهزي بعد؟

لم تزل أنوثتي تهزم احباطاتي.. لكنني لا أدري إلى متى؟!
أتناول الشفرة.

فدوى القاسم




كاتبة فلسطينية




Chaque jour, resplendissent en moi ces expressions :
Les lumières sont allumées
La musique est terminée
Les derniers spectateurs sont sortis


Je suis assise sur le rebord de la baignoire
Et la baignoire est froide
Je fixe mes jambes
Leur long duvet blond
Leurs petits poils noirs
J’envisage de renoncer
J’ai perdu l’envie pressante de les enlever

Ils ne valent plus la peine du caramel
Ni les coupures du rasoir
Ni les moments perdus à attendre l’effet de la crème épilatoire

Cela n’est pas arrivé tout d’un coup
J’ai commencé par négliger le duvet sur mes cuisses, puis sur mes bras, puis aux aisselles, puis sur le pubis, pour en arriver aujourd’hui aux pieds.
Au début, j’ai dissimulé me poils sous les longues manches et les jupes longues pendant la journée et le soir dans les replis de l’obscurité.
Puis il ne mérita plus la peine que je dissimule.
Car je sais que cela ne le dérange pas parce qu’il ne touche pas mes jambes. Qu’il ne me regarde pas lorsque je les croise.
Il ne regarde pas mes cuisses, ni mes bras, ni mes aisselles. Il ne me regarde pas.
Et alors que j’étais assise sur le rebord de la baignoire
Fixant mes jambes. Leur long duvet blond et leurs petits poils noirs. Et pensant à renoncer, il m’appelle de loin exaspéré: “alors tu n’es pas encore prête ?”.
Ma féminité continue encore à l’emporter sur mon abattement…mais je ne sais pas jusqu’à quand.
Je me saisis du rasoir.

mardi 10 août 2010

trope et vérité المجاز و الحقيقة


MC Escher : Anamorphose

المجاز قنطرة الحقيقة
Al Majaz Qantarat al Haqiqa
La métaphore est le pont de la vérité.
Almajaz :
On traduit abusivement Majaz مجاز par métaphore. La métaphore est un cas de Majaz. Ainsi donc la traduction de Majaz par métaphore est de type synecdotique puisqu’elle traduit le tout par la partie. Le mot qui convient le mieux pour dire Majaz c’est trope. C’est-à-dire cas de figure où un mot change de sens. Selon Tabatiba’i الطباطبائي, il n’y a pas de frontière étanche entre majaz et sens propre, entre trope et sens propre puisque dans leur évolution sémantique les mots changent de catégorie. Et l’on passe quasi imperceptiblement du sens figuré au sens propre. On pourrait rendre Majaz par métaphore mais il convient alors de préciser qu’il s’agit d’une métonymie et d’avoir à l’esprit que métaphore vient de μεταφορά : transport. Aujourd’hui encore à Athènes on prend la métaphora (le bus). Comme le mot arabe « majaz » signifie « passage », « distance parcourue »…(en plus de « licence » dans toutes les acceptions du mot, y compris même la licence poétique).
Ainsi donc d’une rive à l’autre la figure semble promise à la distance, au chemin, au parcours.
Juste ceci encore : on peut dire en arabe « majaz an nahr » مجاز النهر: pont. Ainsi donc les mots de notre formule donnent l’un sur l’autre, s’égrènent, s’appellent. (Je pense à Mozart cherchant « les notes qui s’aiment »)
Qantara : pont.
On pourrait se demander ici pourquoi notre formule emploie Qantara et non pas Jisr. La réponse est que Qantara signifie exactement « pont en dur » alors que Jisr désigne toute forme de pont, de passerelle. Selon le lexicographe Morthadha Zoubaidi مرتضى الزبيدي (Belgram Inde 1732- Le Caire 1790), la formule est elle-même figure. C’est ce que l’on peut lire dans le Taj al Arous تاج العروس , article Majaz. Le mystère de cette métaphore de la métaphore, figure de la figure, trope au second degré s’explique par la référence à ce propos de Abdallah Ibn Ibrahim Ibn Hassan Al Housseini عبد الله بن ابراهيم بن حسن الحسيني affirmant que « la vérité est métaphore de la métaphore ». Zoubeidi procède donc de manière quasiment ludique pour dire que notre formule est juste. Zoubaidi
Haqiqa :
Vérité.
Sens propre par opposition à majaz. J’aimerais voir dans ce mot son volet « inconnu » voire « inconnaissable ». En tout cas cela qu’on cherche. Par tous les moyens, surtout par ceux qui ne sont pas ceux de la haqiqa.
La théologie musulmane s’est longuement penché sur cette opposition « majaz » / « haqiqa » c’est-à-dire l’opposition sens propre/ sens figuré qui recouvre une autre opposition : sens explicite/sens implicite. Et les exégètes musulmans sont obligés de reconnaître que l’opposition majaz / haqiqa ne recouvre pas l’opposition vrai/faux. Ainsi donc toutes les affirmations figurées du Coran sont vraies, toutes ses figures sont vraies, de la vérité de la métaphore. Plus encore : la métaphore est le pont de la vérité. La formule mystique est vite devenue formule théologique. Tout se passe comme si elle avait été lue de gauche à droite de sorte que c’est la vérité qui est devenue le pont de la métaphore. المجاز قنطرة الحقيقة

lundi 9 août 2010

هاتف الجنابي


OEuvre de Caspar David Friederich

Le poète Hatif Janabi, irakien vivant à Varsovie, vient de publier à Beyrouth un recueil Un désir entre deux nuages. رغبة بين غيمتين En voici le poème inaugural suivi d'une traduction.

البياض
رابية
قلت : سأستلقي فوق تلك الرابية
في ظل تلك الشجرة
سأنهض بعدها
لأقطف الثمار
ثم أرمي بقشرتها
إلى طائر يحلق فوقي بامتعاض
أو أن أترك الثمار
نهبا لحسرة أخرى

تمتد الرابية
ثم تشرئب مثل فرس جامحة
مثل حياة مارقة

قلت : كفى
ينبغي أن أعود إلى مثواي
فالوقت غروب

ما كنت أعرف
أني سأنزل
من علياء الحياة

Blancheur

Colline
Je me suis dit je vais m’allonger sur cette colline
A l’ombre de cet arbre
Je me lèverai après
Pour cueillir des fruits,
Puis j’en jetterai l’écorce
A un oiseau qui me survole l’air dépité
Ou alors je laisserai les fruits
En proie à un autre remords

La colline s’étire
Puis s’ébroue comme un cheval fougueux
Comme une vie dévergondée

Je me suis dit : assez
Je dois revenir à mon gîte
Car c’est déjà le crépuscule

Je n’ai jamais pensé
Que je descendrais ainsi
Des cimes de la vie.

dimanche 8 août 2010

Gulf Coast Sanford Fraser + tow translations


A la marée noire qui ravage depuis 50 ans le delta du Niger sans que Shell ne s'en émeuve http://www.collectif-sansf1.fr/spip.php?article505, est venu s'ajouter la pollution causée par BP au golfe du Mexique.

Ici, notre ami Sanford Fraser (USA) évoque à sa manière la marée noire suivent deux traductions , celle de Françoise Parouty et celle de Giulio-Enrico Pisani :

Gulf Coast
On empty beaches, lounge chairs wait
in front of a calm sea.
Tar balls wash up on my front lawn.
A plume of oil flows into my living room:
oil-soaked pelicans lie across the dining room table
a giant sea turtle floats in the kitchen sink.
Marée Noire sur la Côte du Golfe du Mexique
Sur les plages vides, les chaises longues attendent
devant une mer calme.
Devant la maison, des boulettes de goudron s'échouent sur la pelouse.
Un panache de pétrole se glisse dans la salle de séjour:
des pélicans englués de pétrole couvrent la table de la salle à manger
une tortue de mer flotte dans l'évier de la cuisine.
2010 Traduction: Françoise Parouty
Golfe du Mexique
Sur les plages vides, les chaises longues attendent
Face à la mer tranquille.
Devant la maison, des boulettes de goudron s'échouent sur la pelouse.
Une traînée de pétrole s’écoule dans mon living :
des pélicans englués de pétrole étalés sur la table de la salle à manger
une tortue de mer géante flotte dans l'évier de la cuisine.
Traduction Giulio-Enrico Pisani

lundi 2 août 2010

Toussaint Médine Shangô,


Grâce à son ami Pierre Poublan, le poète Toussaint Médine Shangô a désormais un site dédié à son oeuvre. http://www.toussaint-medine-shango.com/

Pour saluer cet événement, je remets en ligne ce texte que je lui ai consacré. Que ceux qui ont déjà lu ce texte ne m'en veuillent pas trop.

Odyssée immobile de Toussaint Médine Shangô
Voici un ouvrage qui ne défrayera pas la chronique : il est trop poétique pour la prose ambiante. Même dans le champ poétique, les mièvreries l’emportent sur la profondeur. C’est une œuvre d’une grande teneur poétique, l’égal de Valéry. Il s’agit d’une trilogie du poète Toussaint Médine Shangô intitulée D’Abraham[1]. C’est « l’odyssée immobile » du poète, l’épopée d’un cheminement spirituel qui retrace aussi le parcours d’une vie qui a commencé près de l’Atlas dans le souffle océan du Maroc. Poète au nom œcuménique, Toussaint Médine Shangô[2] revendique trois traditions. Mais profondément musulman depuis 1973, Toussaint Médine a une connaissance parfaite de l’islam. Grand lecteur du Coran, des mystiques musulmans, surtout de Ibn Arabi.Le premier volet de la trilogie est consacré au judaïsme (celui de Meknès). Le deuxième au christianisme et le troisième à l’islam. « Je ne savais qui je serai, si doucement m’a pris l’islam/ Comme une terre fissurée de sécheresse/Ignore que déjà l’abreuve en profondeur/Une grâce invisible ».La grâce est ici synonyme de connaissance, de communion avec l’Etre unique pour l’amour duquel tout s’annihile. Il y a ce rêve de s’abîmer d’amour, de devenir néant pour tout (comme on dit pour rien). L’éloge du prophète, comme chez Al Boussiri, prend des dimensions cosmiques. Le chant célébrant le prophète Muhammad s’accompagne également d’une célébration du Coran. Ainsi, le poème se fait prière. A Médine où repose le prophète, le poète connaît un état d’extase mystique qui est peut-être l’essence même de sa démarche poétique. Ce qu’il y vit tient de l’épiphanie du divin mais aussi de la résurrection des images d’antan. La conscience de finitude que les lieux saints aiguisent s’accompagne d’un retour sur les sites de l’enfance. « J’ai souvenir de moi » se fait anaphore du poème dans une sorte de litanie qui égrène les souvenirs, dit la nostalgie et l’aspiration à un autre mode d’être qui serait la synthèse de la nostalgie, de l’amour et de la piété :« J’ai de moi souvenir : immobile et vivant/Dans la chambre des Livres/De moi j’ai souvenirHomme de grand chemin…/ Je regarde ma vie/Où tant d’ombre s’embrume…/J’ai souvenir de jours qui se fourvoient parmi/ La suborneuse profondeur, l’intermittence des enseignes/Homme de long périple, en moi-même épiant/Les replis de l’Enigme… »Allant vers Médine, le poète se rend dans la ville sainte mais aussi vers lui-même, vers Médine enfant dans les rues de Meknès où il a vécu jusqu’à l’âge de 30 ans. Mais à Médine, la ville où repose le prophète, le poète se trouve dans une contrée où source et embouchure se confondent, un pays où le mot seuil devient tout à la fois entrée et sortie. Là, le poète mesure la distance qui le sépare de lui-même et de Dieu. A Médine, le monde intelligible se fait sensible dans une entreprise qui fait penser à « une marche inconnue à franchir, vers un seuil invisible au plus haut de l’âme »L’univers de Toussaint Médine est celui de la jonction entre cognitif et ontologique. Il s’agit de faire du poème l’espace où le savoir est bien plus qu’une des dimensions de l’être. Il s’agit de ce savoir qui donne vue sur les limites, les siennes d’abord mais aussi celle de l’être. Il y a face au néant général qui se profile un tout, qui est d’abord l’Un. Un savoir singulier, celui que le Livre (celui qu’on se doit de majusculer) révèle : le Coran.« Le respir » (ce mot frappé d’apocope) du poème est dans ce souffle divin, celui du poème célébrant le Livre, la voie vers soi-même qui passe par la transcendance :« Je me vois sous l’or vert/De hauts micocouliers enivrés d’un Murmure:/Quel oiseau de désir aux paupières scellées/Gémit vers les faîtes graciles/Fléchis par une brise où l’âme du jasmin/Se livre à l’âme qui se grise/D’un léger et profond plaisir ?/Nulle fièvre, nulle mesure,/Nulle faille ici, nul miroir/Où se reflète un œil duplice ;/L’infini qui me tait son nom, de son odeur/Illumine ma transparence. »C’est à la faveur d’une quête du transcendant que le moi se révèle et qu’un « hortus deliciuarom » sacré, un Eden est possible.
[1] La trilogie D’Abraham comprend :
1) Menorah de l’Exil, préface de Pierre Poublan Barabacane 1995
2) Où se trouve le corps, les vautours se rassemblent, préface de Jean-Pierre Jossua. La Barbacane, 2004.
3) Au chevet de l’apôtre, préface de Abelaziz Kacem. La Barbacane, 2004.[2] Shangô est le dieu de la foudre au Bénin et dans le Vaudou haïtien.

mardi 27 juillet 2010

Stances du désir et de la piété


Stances du désir et de la piété

Quand je dis un peu c’est toujours beaucoup
Il faut que tout voisine avec rien

Le peu de foi que j’ai
Je l’ai misé sur le chemin
Le long chemin de l’Est
Où naissent les métaphores du soleil

J’ai peu prié
Très peu jeûné
Mais longuement aimé

J’ai fait un peu de mal autour de moi
Mais j’ai planté un palmier
Qui ne me donnera jamais rien
J’ai même planté un cerisier
Qui me donne chaque année
Un peu de vaines promesses

Le peu de foi que j’ai
Je le réserve à ce pèlerinage
J’irai de Kairouan à Kairouan
J’irai de Fez à Fez
J’irai de Jérusalem à Jérusalem

Je dois un peu changer la géographie
Mettre Damas sur mon chemin
Le Caire, Istanbul et les bars d’Ispahan

Je n’oublie pas Louvain
Où j’aurais tant aimé enseigner
L’empreinte du désir qui ne sert à rien
L’art d’aimer en Andalousie
Et la fièvre des frontières franchies
J’aurais un peu aimé ma meilleure étudiante
Elle m’aurait tant appris.

Je dois un peu changer la géographie
Mettre les gorges de Galamus
Si près de Baalbek sur la route du Hijaz

Et s’il y a une belle femme sur mon chemin
Ne serait-ce pas impiété de ne pas m’attarder
Et s’il y a un parchemin sur ma route
Ne serait-ce pas impiété de ne pas m’attarder un peu
Pour lire la beauté et serrer la calligraphie

Je dois un peu changer la géographie
Mettre le Yémen et Port Soudan
Tombouctou et Samarkand
Naples et un peu Saint-Pétersbourg
Sur le chemin de Médine la lumineuse

(Extrait de Prière du vieux maître soufi le lendemain de la fête. Editions du Cygne)

mardi 20 juillet 2010

Où l'on voit le vieux maître soufi tiraillé entre amour et Amour


Page des Illuminations mecquoises d'Ibn Arabi. première édition. Boulaq.

Dis-moi le Grammairien
Toi qui connais les déclinaisons
Les subordinations
La nature et la fonction
Et l’élision des choses
Lequel prête son nom à l’autre
L’amour ou l’absolu
Qu’il t’arrive de nommer Amour
J’ai cherché cet Amour
Dans les livres, sur les routes
Dis-moi le Grammairien
Ai-je le droit de trouver l’absolu
Dans le vermeil d’une fraise
J’ai sorti les plus beaux poèmes
Pour voir mon amour
Et ma plus belle chemise
J’ai oublié mes prières
Dis-moi d’où nous vient l’amour des sources,
Des dunes
Serait-ce une métaphore de la métaphore
Ou bien la métaphore n’est-elle qu’amour
Des sources, des dunes et des hanches

(Extrait de Prière du vieux maître soufi le lendemain de la fête. Editions du Cygne)

dimanche 18 juillet 2010

Cinéma Eldorado سينما الدورادو مصطفى نـــــصر



Cinéma Eldorado de Mustapha Nasr
Mustapha Nasr est un romancier égyptien. Dans Cinéma Eldorado (en arabe) ; il revient sur ses premiers émois de cinéphile. Il fait revivre les salles obscures d’Alexandrie qui étaient autant d’ouvertures sur le monde et sur soi. Féérie de l’autre et du même fraternisant. Or aujourd’hui, toutes ces salles ont fermé. Le corollaire lexical accompagnant l’évocation de ces salles, c’est le verbe « changer ». Tout semble avoir mué. Les cinémas ont été métamorphosés en atelier, en garage, en salle de fêtes ou en grande surface. Le texte est de facture autobiographique mais il laisse une grande marge à la fiction. C’est un roman qui pose la question de son propre genre : suite de nouvelles ou roman. Tout se passe comme si le roman était une somme de nouvelles tout comme la vie est une somme de films. C’est un roman qui porte l’inquiétude de son genre.

Mariam Fakhreddine, une des stars qu'évoque le roman.

A bien y réfléchir, il y a derrière l’évocation parfois jubilante du passé des inflexions tristes, un je-ne-sais-quoi d’amer qui vient sans doute de ce que le roman se situe dans cette zone intermédiaire entre roman et autobiographie que l’on nomme « autofiction ». Ce qui lui confère « l’inflexion des voix chères qui se sont tues ». Le roman mêle fiction et souvenir tant et si bien que cinéma et réalité deviennent choses inextricables. Par moments, il est ardu de démêler les écheveaux de la narration dans ce qui ressemble à la cacophonie du réel. On se demande parfois s’il s’agit du personnage regardant le film ou du film. Les noms s’entremêlent : ceux des personnages du roman, ceux du film et ceux des acteurs, le tout dans une entreprise qui suggère que le monde est un : ses images, ses réalités, ses déceptions forment un tout. Ici, le monde imite l’image. Cinéma Eldorado peut être lu comme l’affirmation de la primauté de l’image tant la vie y imite le cinéma. A la fin du roman, une jeune fille rêvant d’aller aux USA pour étudier le cinéma entraîne son amie dans une fugue qui échoue lamentablement. L’échec est un thème sous-jacent et fréquent dans le roman. Il dit surtout cette inaptitude à dépasser la contiguïté entre le monde et ses images, entre la vie et l’art, entre le réel et l’aspiration. Il y a un réel transcendant toutes les dichotomies que la littérature signifie sans pouvoir lui donner jour. Peut-être que l’échec est la condition sine qua non de la récidive, de la pérennité.

mercredi 14 juillet 2010

Praise for what remains Angelo Verga Eloge pour ce qui reste


ANGELO VERGA
ELOGE POUR CE QUI RESTE

Traduit par Christian Garaud

Voici un extrait d'un long poème du poète new-yorkais Angelo Vergo dans sa version anglaise et dans la version traduite par le poète Christian Garaud. Cette traduction a été publié en mai par la revue Gros Texte - Art et Résistance. Mai 2010. Gros Texte nous a aimablement autorisé à reprendre ce texte.


Angelo Verga est un poète new-yorkais qui vit à la pointe de Manhattan, un œil sur la statue de la Liberté. Ses poèmes ont été publiés, aux Etats-Unis et dans d'autres pays, dans plusieurs anthologies et dans de très nombreuses revues, y compris, en France dans "Liqueur 44" (81) 2006 et (75) 2008. "Eloge pour ce qui reste" ("Praise for What Remains") a été publié sous forme de livre par Three Rooms Press en 2009. Parmi ses autres livres figurent 33 New York City Poems (Booklyn, 2005), 3 Poets 4 Peace (Against The Tide, 2003), A Hurricane Is (Jane Street, 2002), The Six O?clock News (Wind, 1999) and Across The Street from Lincoln Hospital (New School, 1995).


Christian Garaud est né en 1937 à Poitiers, il a enseigné dans plusieurs pays (Irlande du Nord, Suède, Canada, Chine, Etats-Unis), il vit actuellement à New-York. On lui doit des essais sur Victor Segalen et sur Jean Paulhan. Il vient de publier un recueil de poèmes : Les pommes clochards, Gros Textes (Polder 141) 2009, une petite édition qui recèle une grande passion pour la poésie.
Voir ma note du 5 décembre 2009 où je présente un de ses recueils.
Eloge pour ce qui reste

Quel ange puissant il me faut, ma chérie!
Et quel ange puissant tu es!

Et elle dit: quoi que tu me fasses,
Je l'aimerai, je n'y verrai pas
Un manque de respect, j'y prendrai plaisir.
Ne me fais pas plus mal que tu ne dois
Pour m'obliger à la soumission, je dois obéir,
Je n'ai d'autre désir que d'être à toi.

***

Visages dénués de toute expression,
Visages vidés de toute ferveur ou intention,
Visages qui font savoir que le porteur
Du masque est mort, négligeant
Seulement jusqu'ici de tomber sur le ventre, Visages de l'empire, d'un empire
Pourrissant, esclaves vampires,
Photos de police de damnés.

Avant l'aube: le bourdonnement d'ailes dans la nuit,
Les lumières, la brume, le brouillard: une lumière solitaire
Dans un nuage - hélicoptère? avion de reconnaissance?
Dans le port, les canons
D'un cuirassé gris pointés
Vers le parc, les tentes de l'armée rompent Le vert des arbres avec le vert du camouflage,
Et le globe des Tours Jumelles
Qui en a pris un coup est illuminé
Par une ampoule d'un million de watts
[1].
Les sirènes de police annoncent l'aube en hurlant,
La fumée s'élève des plaques couvrant les bouches d'égout,
Les faisceaux lumineux sur les toits, les bateaux-pompes
Sur les deux fleuves, à l'est, à l'ouest,
Au nord, au sud, les abeilles, les bourdonnements,
Les abeilles qui font prospérer la ville,
Les abeilles, les abeilles sont sur le point
D'arriver, retournant à la ruche.

***

Le chant d'un coq dure plus longtemps que ses ailes,
C'est pourquoi nous écrivons des poèmes, supportons les bébés,
Cherchons l'immortalité pour aller au-delà du corps,
Du temps, de la géographie, de la tribu, pour nous unir à l'univers
Tandis qu'il chante en zigzaguant
Loin, loin, jusqu'au plus lointain tourbillon.
Pas d'ère nouvelle, pas maintenant, pas encore, seuls les gémissements
De l'aube viennent pendant la nuit; la joie arrive avec la lumière du jour,
N'est-ce pas, ma chérie, ma beauté?
Mais voici seulement le reflet de l'aube,
D'où une joie pâle, un lever de soleil squelettique
Contrôlé par le ciel, mon amour.

Donne-moi la main, ma Douleur, et viens avec moi,
Mets mes chaussures, mes sneakers, mes sandales, mes bottes.

L'ignorance ne cesse de croître, prospèrent
La folie et l'erreur, la mesquinerie et le vice.
Le vent et les nuages torturent les gratte-ciel,
Leurs milliers d'yeux fermés dans l'angoisse de l'acquiescence,
Une petite chose, peut-être aussi petite
Que la déchirure d'une feuille sèche entre le pouce et le doigt,
La torsion d'un mamelon de chair mûre,
Un petit crime, une petite annihilation
Complète, totale, rapide.
[1] Il s'agit du globe qui reposait entre les deux tours du World Trade Center avant le 11 septembre 2001. Ce globe est maintenant placé à la pointe de Manhattan, à Battery Park.


PRAISE FOR WHAT REMAINS
Invocation
What a strong angel I seek, my darling
And what a strong angel you are
And she says if you do it to me
I’ll like it, whatever it is,
I won't take it as a reprimand I’ll enjoy it
Don’t hurt me more than you must
To compel submission, I need to obey
I yearn for no choice but to be yours
**
Faces erased of all emotion
Faces devoid of fervor or intent
Faces that convey that the wearer
Of the mask is dead, neglecting
Only to face down fall as of yet
Faces of the empire, the empire
In decay, the vampire slaves
Mug shots of the damned
Predawn: drone of wings in dark
Lights, mist, fog: one lone light
Inside a cloud, helicopter? scout?
In the harbor, a gray
Battleship’s guns pointed in
At the park, army tents break green
Of trees with green of camouflage
And the globe from the towers
Punched hard is spotlighted
With a million watt bulb
Police sirens scream dawn
Smoke rises from manhole covers
Search beams on rooftops, fire
Boats on both rivers, east west
North south, the bees, the drones
The bees who make the city thrive
The bees, the bees are about
To arrive, returning to the hive
**
A rooster’s song lasts longer than his wings
That is why we write poems, suffer babies,
Seek immortality, to go beyond the body,
Time, geography, tribe, to join the universe
As it sings through its twists and turns
Out, out, into the far-flung whirlwind
No new era, not now, not yet, only the dawn
Moans come during the night; joy arrives with daylight
Isn’t that right? My darling, my lovely one
But here only the reflection of dawn arrives,
Hence a pale joy, a skeletal sunrise
Restrained by the sky, my sweetheart
Give me your hand, Sorrow, and come with me
Walk inside my shoes, my sneakers, sandals, boots
Since ignorance is increasingly on the rise
Folly and error, pettiness and vice thrive
The wind and clouds torture the towers
Their thousand eyes closed in anguish of acquiescence
A small thing, as small perhaps
As the breaking of a dry leaf between thumb and finger
The tweaking of a ripe nipple of flesh
A small crime, a small annihilation
Complete and inclusive, though swift

mardi 13 juillet 2010

Arithmétique des couleurs


OEuvre de Bonnard

Arithmétique des couleurs

Et le vieux maître soufi répondit
Prenons la plus parfaite des formes,
L’alpha et l’oméga
Le Alif et le ya
La coupole
Celle dont s’inspirent l’œil et le ciel
La terre et le sein
Ajoutons-y une des couleurs relevées
Par le Grand maître de Murcie
Pour qui toute couleur est un superlatif
Le vert veut dire plus noble
Le noir signifie plus grave
Le blanc est synonyme de meilleur
Le rouge dit plus belle
Et je peins ma coupole en rouge
Non pas celui qui sied aux douaniers et aux gendarmes
Mais celui du Caravage
Celui du quirmiz et des tons qu’il a enfantés
Celui des cerises que chantent les poètes
De la coccinelle dans le silence de son envol
Celui qu’on dit de Florence ou du gingembre
De l’homme épris d’autres lendemains
De l’horizon et des joues de mon amour
Je marie le tout avec mon désir et une coupole
Dont le vert, le noir et le blanc donnent le rouge
Sur cette terre qui est moins bleue qu’il n’y paraît

(Extrait de Prière du vieux maître soufi le lendemain de la fête. Editions du Cygne)

vendredi 9 juillet 2010

Poésie pour tous, toujours et partout (2) Par Giulio-Enrico Pisani


John Singer Sargent : Street in Venice

Poésie pour tous, toujours et partout(2)
Nous sommes tous des passants
Dans mon article du 19 février 2010, intitulé avec une sorte d’à-propos anticipé « La passante de l’Occirient »(1), je vous présentais le recueil de poèmes de Jalel El Gharbi, « Prière du vieux maître soufi le lendemain de la fête », dont j’extrais pour vous notre première passante : « Il y avait la passante / Si sombre en sa beauté / Rachid al-Hallaaq Abû Shâdi, / Le dernier conteur de Damas / Ne pouvait pas savoir que la passante avait pris mon âme ». Je vous rappelais alors qu’El Gharbi voguait fort loin de la cruelle légèreté française de la célèbre passante de Baudelaire et que ses vers nous découvraient une autre cruauté, celle du multimillénaire fatum méditerranéen. Ainsi que l’ai expliqué dans la première partie de cet article, que je terminai en pointant sur la multiplicité des significations possibles d’une métaphore, il n’y a là aucune contradiction.
La passante est belle. Marcel Proust évoque dans « À l’ombre des jeunes filles en fleur », prose, certes, mais combien poétique : « ... la beauté dont on serait parfois tenté de se demander si elle est en ce monde autre chose que la partie de complément qu’ajoute à une passante fragmentaire et fugitive, notre imagination surexcitée par le regret ».
Elle est cruelle. C’est dans le recueil « Les Fleurs du mal » de Charles Baudelaire que nous retrouvons « La passante » la plus célèbre, dont l’immense poète nous dit qu’il ne la verra plus qu’« Ailleurs, bien loin d’ici ! trop tard ! jamais peut-être ! / Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais, / Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais ! »
Moi-même, pourtant peu porté sur le spleen, dans mon premier recueil, « Amours d’un soir fin septembre »(2), j’ai reconnu cette douleur dans le poème « En passant par Paris », tout en l’allégeant, sinon en la guérissant par le bonheur saisi dans l’instant (carpe diem). En voici la dernière strophe : « Mais le flirt suggéré, gratuite connivence, Le sourire en passant, dénudant mais pudique, Appuyé aux Tuileries et envolé à La Défense, est baiser éternel au souvenir magnifique » . Ici, la permanence du souvenir, source de joie, console de la perte. C’est tout ce qui reste. C’est tout ce qui peut subsister. Mais n’est-ce pas là l’essentiel ?
La passante peut être légère. Dans « Soeur inconnue », encore un poème de mon recueil « Amours d’un soir fin septembre » elle reste éphémère tout en s’inscrivant dans la durée : « Toi la passante, dont le chemin, / jour après jour, toujours le même, / croise ma route, certes, en vain, / depuis trente ans, inconnue, je t’aime. // De ton sourire – c’est tout ce que j’ai – les frôlements distants je chéris. / Tu es comme un sœur, mais un jour, qui sait, / dans l’au-delà ou au paradis / l’amour que nous n’avons pas fait / vêtu d’inceste nous sera permis. »
Elle ne promet rien. Nettement moins pessimiste, Charles Trenet, lui, propose gentiment à sa passante : « Vous, qui passez sans me voir, Sans même me dire bonsoir, Donnez-moi un peu d’espoir, ce soir... » . Le « carpe diem » est ici essentiel, quitte à ce que le « di » (jour) devienne soir...
Elle provoque (plus inconsciente que coquette). Afin de ne pas laisser s’envoler la chance, la belle, notre passante donc, Victor Hugo, dans « L’Âme en fleur » de ses « Contemplations », la provoque à son tour : « Si vous n’avez rien à me dire, / Pourquoi venir auprès de moi ? / Pourquoi me faire ce sourire / Qui tournerait la tête au roi ? / Si vous n’avez rien à me dire, / Pourquoi venir auprès de moi ? » et, plus loin, allant jusqu’à se voir lui-même comme passant, « Si vous voulez que je m’en aille, Pourquoi passez-vous par ici ? / Lorsque je vous vois, je tressaille : / C’est ma joie et mon souci. »
Éphémère, elle ne fait que passer. Dans ses Odelettes, Gérard de Nerval croise la passante en gaieté, celle qu’il évoque dans « Une allée du Luxembourg », un peu comme chez Trenet ou même chez moi, mais la ramène tôt fait à une métaphore de sa propre jeunesse qui s’achève, du temps qui passe, du bonheur qui fuit : « Elle a passé, la jeune fille, / Vive et preste comme un oiseau ; / A la main une fleur qui brille, / A la bouche un refrain nouveau. (...) Mais non, ma jeunesse est finie... / Adieu, doux rayon qui m’as lui (3), / Parfum, jeune fille, harmonie... / Le bonheur passait, il a fui ! »
Elle est parfois tragique. « La passante » mystérieuse du poète canadien Emile Nelligan, revêt le même sens métaphorique que celle de Nerval, mais annonce d’emblée la couleur ou, plutôt, le deuil de son état. Voici donc ce sonnet, si beau que je ne peux l’amputer : « Hier, j’ai vu passer, comme une ombre qu’on plaint, / En un grand parc obscur, une femme voilée : / Funèbre et singulière, elle s’en est allée, / Recélant sa fierté sous son masque opalin. // Et rien que d’un regard, par ce soir cristallin, / J’eus deviné bientôt sa douleur refoulée ; / Puis elle disparut en quelque noire allée / Propice au deuil profond dont son coeur était plein. // Ma jeunesse est pareille à la pauvre passante : / Beaucoup la croiseront ici-bas dans la sente / Où la vie à la tombe âprement nous conduit ; / Tous la verront passer, feuille sèche à la brise / Qui tourbillonne, tombe et se fane en la nuit ; / Mais nul ne l’aimera, nul ne l’aura comprise. »
Elle est insaisissable. Ainsi dans « Les Passantes » d’Antoine Pol, dédicace au fugitif phantasme de l’éternel féminin, mis en musique et chanté par Georges Brassens, la consolation du souvenir n’empêche pas le regret. Je la chantonnais parfois, jeune frontalier, dans le train entre Luxembourg et mon boulot à Troisdorf : « Je veux dédier ce poème (...) À la compagne de voyage / Dont les yeux, charmant paysage / Font paraître court le chemin / Qu’on est seul, peut-être, à comprendre / Et qu’on laisse pourtant descendre / Sans avoir effleuré sa main (...) Alors, aux soirs de lassitude / Tout en peuplant sa solitude / Des fantômes du souvenir / On pleure les lèvres absentes / De toutes ces belles passantes / Que l’on n’a pas su retenir »
Mais toutes ces passantes, et ce depuis Malherbe avec sa « Consolation à M. Du Périer » jusqu’au poète irakien Maarouf Roussafi et son poème « La veuve donnant le sein » ne sont pas chantées par le mot « passante ». Certains poètes préfèrent en effet suivre la réflexion de Mallarmé selon lequel « nommer un objet, c’est supprimer les trois quarts de la jouissance du poème qui est faite du bonheur de deviner à peu à peu ; le suggérer, voilà le rêve ! ». Ceux-là aiment sous-entendre, circonscrire, métaphoriser jusqu’aux métaphores. Passants ou passantes n’y apparaissent qu’entre les lignes et jaillissent du contexte poétique, ou du « non dit », comme dans le fameux « … rose, elle a vécu ce que vivent les roses, / L’espace d’un matin… » de Malherbe. Même absence dans « Angine de Poitrine », de Nazim Hikmet(4), où ce poète communiste turc se projette, sempiternel passant lui-même, dans tous les engagements du monde, « Si la moitié de mon coeur est ici, docteur, / L’autre moitié est en Chine, / Dans l’armée qui descend vers le Fleuve Jaune. // Et puis tous les matins, docteur, / Mon coeur est fusillé en Grèce » . Autre passante non dite : celle de Maarouf Roussafi, que le poète regrette ne pas avoir approché. « Ah que ne l’ai-je pas rencontrée ! / Elle marchait le pas alourdi par la misère... » (5). Elle a passé, certes ; mais, le poète, n’a-t-il pas passé son chemin ? Un passant !
Qu’en est-il en effet des passants, au masculin donc, amis lecteurs ? Ils ne sont pas trop fréquents, convenons-en. Notez, j’en ai évoqué un moi-même dans un poème intitulé « La raquette », un passant de l’amitié, dont je vous fais l’économie pour des raisons d’espace rédactionnel. Pour cette même raison je ne saurais hélas citer plus que les six premiers vers du poème d’« Où est la maison de l’ami ? » de Sohrâb Sepehri, poète et peintre iranien dont le passant cherche l’ami : « C’était l’aube, lorsque le cavalier demanda : “Où est la maison de l’ami ?” / Le ciel fit une pause. / Le passant confia le rameau de lumière / qu’il tenait aux lèvres / à l’obscurité du sable... » (6). Mentionnons aussi les beaux vers dans le « Le Passant fabuleux »(7) de la poétesse belge Béatrice Libert, qui contemple une « Vie brisée / en miettes sur la table / en éclats de jours tordus // Face-à-face entre le Destin / Et le Passant magique / Dont la main sait / Rompre le cou à la folie / Sans lui casser les ailes ».
Bien d’autres « passants » peuplent sans aucun doute le patrimoine poétique. Admettons simplement qu’ils ne crèvent pas l’écran géant de la poésie mondiale. Cependant, quelque soit la signification que l’on donne à ces passantes et passants, elles ou ils restent, comme l’écrit avec perspicacité Jean-Pierre Longre sur la pièce de Queneau « En Passant », « des êtres fugitifs » . Et nous voilà de retour à la « case » Baudelaire : « ...Un éclair... puis la nuit ! - Fugitive beauté... »
Giulio-Enrico Pisani
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1) www.zlv.lu/spip/spip.php ?article2252 2) Éditions Schortgen, Esch/Alzette, 1996 3) Lui : participe passé du verbe luire (dans le sens d’éclairer) 4) Éditions Gallimard, 2002, page 89 5) Vers traduits par Jalel El Gharbi 6) Poème traduit par Jalâl Alaviniâ, source : « La Revue de Téhéran » 7) Dans « Il neige dans la nuit et autres poèmes », Édit. Autres Temps, Marseille, 2003

jeudi 8 juillet 2010

Poésie pour tous, toujours et partout


Voici l'article que l'écrivain Giulio-Enrico Pisani publie aujourd'hui dans la Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek

Poésie pour tous, toujours et partout (1)
Une alternative pour monsieur Jourdain ?

Serait-ce en vertu de quelque prémonition que j’écrivis en janvier 2010 l’article « Nous sommes tous des poètes... enfin… presque »(1) qui, non seulement fut publié dans notre bonne vieille Zeitung, mais eut aussi quelque retentissement sur la toile ? Non, bien sûr, car je n’ai aucun lien de parenté ni affinité avec madame Soleil. De plus je ne crois guère à la transcendance ou à la magie des pressentiments, qui n’ont rien de mystérieux ou de surnaturel et résultent, tout comme la poésie, de notre activité cérébrale. Il s’agit simplement de constructions subliminales, sorte de raisonnements sans intervention aucune de notre raison : combinaison de faits, d’évènements, de souvenirs et d’impressions bouillonnant dans le chaudron de notre subconscient.
Intuition, pressentiment, prémonition, poésie, voilà autant de manifestations de notre esprit, qui échappent, du moins dans leur jaillissement natif, geysers incontrôlés, à la censure de la raison. Celle-ci, qui ne cède cependant pas volontiers son rôle, revendique tout de même de pouvoir intervenir, sinon au niveau de la cohérence, du moins dans la mise en forme et l’expression en clair de ces résurgences de l’esprit. Mais revenons donc à notre sujet : la poésie, dont je pense avoir démontré dans l’article susmentionné, qu’elle est plus naturelle, donc plus proche de la nature humaine que la prose. Je pense à cette prose pratiquée – bien souvent massacrée – quasi-inconsciemment par nous tous, descendants involontaires de monsieur Jourdain, à qui la poésie permettrait souvent d’exprimer et de libérer des sentiments qui nous étouffent faute de savoir les formuler.
Fruit d’émotions et d’idées de toutes espèces et intensités, la poésie peut étendre ses ailes sur des millions d’objets, dépeindre une infinité de sentiments, parcourir d’immenses paysages, ouvrir d’incalculables perspectives. Pas toujours roses d’ailleurs, loin de là ! Et si je penche personnellement pour une poésie de l’amour, de la beauté, de la paix, de la fraternité, de l’empathie, de la compréhension, du rapprochement, il m’arrive d’y exprimer colère, tristesse ou désespoir. Il est parfaitement inutile de chercher un poète qui n’écrive qu’une espèce de poèmes ; impossible également de cataloguer, de classer par sorte quelque chose d’aussi volatil et incontrôlable que la poésie.
Beaucoup s’y sont essayés et, comme d’autres dans l’art, s’y sont cassé les dents. D’aucuns refusent toutefois de soumettre la poésie à une quelconque catégorisation. J’en suis, car je crois fermement que la poésie est partout et en chacun sous d’innombrables formes. Tout comme chacun d’entre vous, amis lecteurs, peut être touché, ému, bouleversé, choqué de maintes manières, tous vous avez déjà créé la poésie qui correspond à ces mouvements d’esprit. Vous n’avez peut-être pas couché vos mots sur papier, faute d’habitude, ou d’en voir la nécessité, ou retenus par quelque inhibition culturelle. Et pourtant, comme c’est facile ; comme cela jaillit de source, si bien que souvent, sans même que vous le sachiez, les expressions vous viennent d’abord en poésie, et ce n’est qu’au moment de leur laisser franchir vos lèvres que – habitude ou raison du « raisonnable » – vous les modifiez et réordonnez en prose.
Exemples célèbres : Paul Verlaine est déprimé, s’ennuie, il est triste sans raison véritable, n’a pas le moral, et la grisaille ambiante, la pluie, donc l’absence de soleil et de ciel bleu n’arrange rien. « Il pleure dans mon coeur comme il pleut sur la ville... », écrit-il. Élémentaire, non ? N’eussiez-vous pas pu en dire autant ? Et fallait-il qu’un jeune en mal d’amour fût poète pour fredonner : « Oui mais moi, je vais seul(e) par les rues, l’âme en peine » ? Ce vers, extrait de « Tous les garçons et les filles » que Françoise Hardy écrivit et chanta en empathie avec tous les adolescents de son temps, était d’eux tous.
Croyez-vous vraiment qu’il faille être un François Malherbe pour murmurer à l’ami attristé, détruit par la perte de sa fille : « Ta douleur, du Perier, sera donc éternelle ? » et, plus loin « … rose, elle a vécu ce que vivent les roses, / L’espace d’un matin… (2) » ? Non, bien sûr. Étrangement – et cela conforte bien ma thèse – ce sont justement ces deux vers, que pratiquement n’importe qui d’entre nous eût pu sentir monter en lui, penser, voire dire, qui ont franchi les siècles et atteint une célébrité mondiale. Le reste du poème, un peu lourd à mon goût, d’une certaine complexité et d’une qualité assez inégale, seul quelques spécialistes le connaissent.
Et l’on peut en dire autant des fameux « Deux étions et n’avions qu’un coeur » et d’« Autant en emporte le vent » de François Villon, ou bien du « Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie ! » de Ronsard, ainsi que de bien d’autres vers de maints poètes. Au moins aussi évident, le « Ô rage ô désespoir, Ô vieillesse ennemie » de Corneille peut passer par la tête de n’importe quelle personne chagrinée par les premières atteintes de l‘âge. Quant au vers : « Voici l’hiver tueur de pauvres gens » de Jean Richepin, il eût pu être dit par n’importe qui... mais – simple parenthèse – pas nécessairement compris par les politiques qui aiment rogner les minima sociaux en temps de crise. Il est vrai que je serais fort étonné de retrouver le sulfureux Richepin au programme de Sciences Po. Fermons la parenthèse.
Notez, amis lecteurs : cette reconquête, disons populaire, de la poésie ne serait pas nécessaire, si maints soi-disant poètes ne s’étaient pas détachés en masse de leur terreau d’origine pour ne plus – grotesque aréopage – s’entendre, se lire, se complimenter et se juger mutuellement. Si je parle de reconquête, c’est qu’il y a peu de temps encore, la poésie était un art qui avait un énorme écho populaire. Songez seulement aux masses qui, quasi illettrées, savaient affluer aux lectures de textes de Victor Hugo, Federico Garcia Lorca, Pablo Neruda, René Char, Louis Aragon, Brassens ou Prévert, autant d’histoires d’amour entre peuple et poètes ! Et comment mieux vous faire comprendre cette passion pourtant toute simple, au quotidien, qu’en me basant sur des sujets, des sentiments, des réalités, des impulsions, des émotions que nous ressentons tous ?
Citons l’amour, bien sûr, mais aussi l’affection, l’amitié, la solidarité, la nostalgie, la douleur, la surprise, la joie, la critique, le drame, la tragédie, le chagrin, la révolte, la quiétude, la sagesse, la contemplation, l’admiration et j’en passe. Citons aussi les choses ou les êtres : le lac, la forêt, la montagne, la mer, l’horizon, le ciel, le désert, une femme, un enfant, l’ouvrier, le voyageur, le soldat, le malade, le mourant, le promeneur... il n’y a pas de limites. Prenons donc un exemple tout bête, très limité : un passant ou une passante. Une personne passe, là, près de nous, ou au loin, pas trop loin tout de même, à moins que ce soit nous qui passions... Comme n’importe qui, n’importe où, comme Ayamei, l’héroïne de Shan Sa, qui dit : « Je ne suis pas touriste, je suis une passante. » Quoi de plus commun, quotidien, ordinaire, allant de soi, puisque nous côtoyons sans cesse nos semblables ; nous passons... près d’eux, ou à quelque distance. Ne sommes-nous pas tous des passants sur cette terre ? La passante, au féminin, les poétologues en ont un fait un mythe.(3) Passer est pourtant une action ou un phénomène qui n’a rien de mythologique au sens convenu du terme, mais de tout à fait courant, ressenti et vécu par tous et, à cause de sa portée symbolique potentielle, de la variété de ses significations et sous-entendus possibles, saisi, métaphorisé et « mis en musique » par de nombreux poètes.
à suivre
*** 1) www.zlv.lu/spip/spip.php ?article2051
2) Matin devant être compris ici métaphoriquement, aussi bien comme « matin de vie » – c’est la fille d’un ami, une jeune femme, qui est morte – et, par exemple, « bref laps de temps » ou « moment », un peu comme dans le fameux « carpe diem ! » (saisis l’instant !), le jour (di) signifiant « l’instant » (qui passe). Tout comme dans le langage courant, n’importe quel mot peut signifier en poésie un concept métaphoriquement comparable. Quand vous sortez malgré qu’il pleut des hallebardes, vous mettez bottes et pèlerine pour affronter l’ondée et non (les hallebardes ne signifiant ici que cette violence inouïe) une armure pour vous protéger d’une pluie de lames d’acier.
3) Lire notamment « Le mythe de la passante : de Baudelaire à Mandiargues » de Claude Leroy », Presses universitaires de France, 1999.
Giulio-Enrico Pisani

dimanche 4 juillet 2010

Les tensions du copte توترات القبطي

Icône copte Vème siècle
Les Tensions du Copte توترات القبطي est un autre roman du soudanais Amir Tajelsir. Michael, le Copte, se trouve pris dans la tourmente d’une révolution djihadiste au sud Soudan. Il ne reconnaît pas dans les pratiques djihadistes l’islam auquel il s’est converti. La cruauté, la sauvagerie décrites sont peut-être celles dont tout homme est capable dès lors qu’il s’engage dans un système où il cède aux autres le soin de penser à sa place.
Voici une traduction de la première page du roman


- Viens Saad…Viens Mabrouk
Abadi Talsman, chef de la brigade des djihadistes où je venais d’être nommé cuisinier depuis seulement vingt jours, m’appela à sa tente, qui se trouvait un peu loin de celles des soldats éparpillées aux environs de Sour, à l’Ouest du pays. Ce fut un jour ma ville natale ; j’y ai vécu toutes mes années prospères puis je l’ai perdue.
Il affectait de m’apprécier, sans que j’en comprenne la raison. J’en faisais autant par crainte des redoutables revirements de sa face, de ses yeux flamboyants et de son fouet taillé dans la peau d’un vieux bœuf. Un jour, j’ai vu le fouet s’extirper, ses extrémités entachées de la chair rouge du dos d’un soldat de sa brigade, par trop rebelle.
C’est lui-même qui m’a choisi parmi tous les vaincus de la ville tombée après trois mois d’un siège âpre. Ce jour-là, il fit défiler juifs, chrétiens, bouddhistes indiens, tous les insoumis et les larbins de l’impiété et de l’athéisme au milieu du grand souk afin que quiconque le voulait puisse leur infliger coup de pied, insulte ou bondir sur leurs femmes captives.
C’est lui qui présida à ma pénible circoncision pendant laquelle je faillis mourir car la tâche fut confiée à un conscrit de la brigade qui n’y était pas habilité. Il m’initia aux rites de ma nouvelle religion, à ses hourras et à ses alléluias, au maniement de l’épée, de la lance et même des fusils des Francs en attendant qu’arrive le moment où il faudrait en user. Il me donna un autre nom : Saad Mabrouk supprimant ainsi celui de Michael dont, enfant, je fus baptisé par les soins d’un prêtre égyptien, Tony Effrit, qui veillait sur les affaires des chrétiens de la ville.